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une bonne action de rabelais

médicale et d’érudition littéraire, mais encore par une admirable satire de la société tout entière, ainsi que des mœurs et des idées de son temps, intitulée la Vie du grand géant Gargantua et les Faits et prouesses de son fils Pantagruel, espèce de roman fantastique, dans lequel la plus haute raison se cachait sous un masque de bouffonnerie extravagante.

Rabelais avait alors près de soixante-dix ans ; il était de taille moyenne, avec un embonpoint florissant qui témoignait de sa belle santé ; il portait la tête haute et droite, marchant d’un pas ferme et presque solennel ; sa figure, toujours souriante, empreinte à la fois de bonté et de malice, inspirait de prime abord la sympathie et la confiance ; malgré son grand âge attesté par ses cheveux blancs, rien n’accusait en lui la décrépitude ni la sénilité. C’était un vieillard qui conservait les forces et les apparences de la jeunesse.

Son costume annonçait un médecin de la Faculté, ou un docteur de Sorbonne, plutôt qu’un homme d’église ; il était coiffé d’une sorte de toque ou bonnet carré en velours noir, qu’on appelait barrette et qui cachait sa calotte de cuir bouilli ; il n’avait ni rabat, ni surplis, mais une longue robe ample et flottante, boutonnée par devant, en étoffe de grosse laine ou étamine noirâtre ; il avait les mains nues et s’appuyait sur un gros bâton en bois d’ébène à pomme d’ivoire. C’était là, il est vrai, un habillement de cérémonie, puisqu’il venait rendre visite à ses bons paroissiens, le seigneur et la dame du château de Meudon, où il était toujours le bien-venu et l’hôte désiré ; mais, d’ordinaire, quand il allait voir les malades, faire l’aumône aux pauvres