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son collègue muet approuvait, d’un signe de tête ou d’un signe de croix, ces terribles récits, tant il avait lieu de redouter le Moine-bourru, qu’il accusait de torts graves à son égard, car il montrait une cicatrice qu’il avait au front, et faisait raconter, par son compère, qu’une belle nuit de Noël, le Moine-bourru avait voulu le poignarder, pour l’empêcher de sonner la messe de l’Aurore. Le Père Griffon possédait donc, sur le Moine-bourru, un répertoire d’aventures et de témoignages, capables au moins d’inspirer le doute au plus incrédule ; ces aventures fantastiques, il les amplifiait de plus en plus, depuis quarante ans qu’il les prodiguait sans cesse à l’insatiable curiosité de ses jeunes auditeurs, qui frémissaient d’horreur, en se serrant autour de lui. L’orateur, que la peur gagnait à son tour, finissait par en perdre la voix, aussi complètement que le Père Frémion, qui avait accompagné d’une effrayante pantomime, en sa qualité de muet, les récits de son collègue, qu’il n’entendait pas, mais qu’il savait par cœur.


Crébillon, le seul qui dans le collège ne croyait pas au diable, avait osé traiter de visionnaires les deux innocentes victimes des malices du Moine-bourru.


— Visionnaires ! murmurait le père Griffon, avec indignation. Ce mauvais garçon ne croit à rien ; il mourra dans la peau d’un hérétique.


Le jour suivant, ce fut le père Frémion, qui dut remplacer le père Griffon dans les fonctions de sonneur. Il avait, comme tout le monde, blâmé son confrère d’un oubli qu’il croyait bien avoir constaté lui-même. Il se rendit à son poste, avant quatre heures du matin, bien déterminé à