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fort blessée, et avec raison. Vous plairait-il, belle cousine, que je vous chantasse cette chanson, qui a le mot pour rire ?


— Chut ! Voulez-vous vous faire prendre en flagrant délit ? Soyez donc plus circonspect, sinon plus sage !


— En trois mots, voici ce qui s’est passé. Madame la duchesse d’Orléans a trouvé la chanson écrite sur la semelle de ses souliers, un de ces soirs où elle allait chez la reine. Le roi y était. Madame s’est indignée contre les chansonniers de la cour, qui ne respectaient rien, pas même ses souliers. Là-dessus, elle fit voir la chanson qu’elle portait à la semelle de sa chaussure, et, comme on faisait mine d’en rire, elle s’emporta, en disant que le comte de Guiche lui avait appris que j’étais l’auteur de cette vilaine chanson. Sa Majesté mit sa colère au diapason de celle de Madame et déclara qu’on ferait bien de m’envoyer chansonner à la Bastille. On vint m’avertir, le lendemain même, de ce tripotage. Je guettai le comte de Guiche, et l’ayant trouvé qui allait chez Monsieur, frère du roi, je l’arrêtai pour lui dire au passage : « Monsieur, quand nous vous aurons coupé les oreilles, nous irons les clouer à la porte de Madame la duchesse d’Orléans. » Je ne pouvais faire moins, ma cousine, que d’imposer silence à M. de Guiche. Mais cette méchante langue, à qui je laissais encore ses oreilles, s’en servit assez mal pour entendre que ma menace s’adressait, non à lui, mais à Monsieur lui-même ; ce qui était un effronté mensonge. Je me lave donc les mains de ce qui est advenu de cette calomnie. Monsieur alla conter la chose à Madame, qui courut la conter au roi, et qui versa des torrents de larmes, en jurant