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Je regrette vraiment, reprit-elle à voix basse, qu’il n’ait pas un coup de vin à boire, pour se donner des forces…


— Il s’agit bien de boire ! murmura le père, qui tirait de son orgue quelques accords isolés pour s’assurer que les touches du clavier faisaient vibrer exactement toutes les cordes de l’instrument. Il s’agit de mon honneur, il s’agit de notre fortune. Nous allons jouer notre va-tout devant le roi et devant la cour. Ce soir, nous serons riches et heureux ; sinon, il me faudra renoncer à la musique et remonter sur le théâtre, pour gagner notre vie péniblement, misérablement, car il y a trop de comédiens en France, et le métier devient plus mauvais tous les jours.


— Nous réussirons, j’en suis sûre, Jacques ! répliqua la vieille, qui n’avait des yeux que pour l’enfant, dont elle dirigeait et encourageait l’appétit. Quand notre Jean-Baptiste aura mangé à sa faim, il fera des merveilles…


— Aura-t-il bientôt fini de tordre et avaler ? grommela le musicien, qui avait terminé l’examen de la tonalité des accords de son instrument. Il est grand temps qu’il rentre dans sa boîte…


— Rien ne presse, Jacques, dit la bohémienne avec un air suppliant. L’enfant était si affamé, après avoir jeûné tout le jour… D’ailleurs, mon pauvre petit, tu emporteras là-dedans les pâtisseries et les sucreries…


— Oh ! qu’il se garde bien de faire le moindre bruit ! s’écria le musicien avec colère, car nous devons paraître devant le roi, à neuf heures précises, et le moment est proche. Entends-tu, Jean-Baptiste, si tu manques ton jeu, si tu fais une fausse note, je te fouetterai jusqu’au