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introduction.

que ce salon capricieusement éclairé par les reflets d’un fagot enflammé, quand l’après-dîner nous réunissait tous, en demi–cercle, devant la cheminée, qui n’avait pas la capacité des hautes cheminées gothiques, mais qui ne dévorait pas moins de bourrées et d’énormes bûches.

J’occupais la place d’honneur, au milieu d’un auditoire qui m’écoutait toujours avec cette bienveillance si encourageante pour les bavards ; or, la langue n’est pas de ces choses qu’on perd en vieillissant.

Le père et la mère daignaient se mêler à leurs enfants, pour entendre les réminiscences décousues de mes lectures et de mes quatre-vingts ans. Mais comment peindre le groupe silencieux et attentif de ces enfants, agenouillés entre mes jambes, assis à mes pieds et debout derrière mon fauteuil ? Ils suivaient de l’œil l’histoire, qui commençait trop tard, à leur gré, et finissait trop tôt ; ils ne se permettaient pas de bouger, de peur de m’interrompre, et ils eussent voulu suspendre leur respiration. Je l’avouerai, si un conteur est fier de l’attention qu’on lui prête, j’avais bien largement tous les privilèges et toutes les récompenses du conteur.

Quelquefois, il est vrai, je me trouvais, en cette qualité, fort embarrassé d’un rôle où l’on ne saurait réussir, à moins de contenter tout le monde : je devais m’adresser à des auditeurs, différents d’âges, de sexes et de caractères. Celui-ci me suppliait à voix basse d’aborder le terrible chapitre des revenants ; celui-là se serait volontiers pâmé d’aise à des histoires de voleurs, car ces deux sujets