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contribuer peu à leur inspirer des idées saines et logiques : la vieille tapisserie, qui cachait les murs, représentait la tentation de saint Antoine, avec son appareil grotesque de diableries, et le vent, mal intercepté par les vitres déplombées de la fenêtre, circulait derrière cette tenture, qu’il agitait par instant, de telle sorte que les personnages semblaient s’animer, prêts à s’élancer hors de la trame de laine. Un immense lit s’enfonçait profondément sous le baldaquin et entre les rideaux de damas cramoisi : dans cette alcôve, luisaient une glace de Venise et un crucifix d’ivoire. Un feu de bruyère et de sarment pétillait dans l’âtre et envoyait à l’entour de la cheminée une clarté étincelante, dans laquelle s’absorbait la faible lueur de la lampe ; tous les meubles antiques, tables, chaises, armoires, étaient ornés de têtes d’animaux fabuleux, qui reflétaient çà et là leurs ombres monstrueuses.


Antoinette de La Garde, grâce aux sages enseignements de sa mère, n’avait jamais eu un mouvement de peur, et Thérèse, moins inaccessible à ce genre de sensation nerveuse, ne s’y abandonnait pourtant qu’à de rares intervalles, quand la réalité empruntait du hasard ces apparences singulières, qui naissent fréquemment d’une réunion de faits peu importants en eux-mêmes, et qui perdent de près le masque trompeur qu’elles ont reçu de loin : encore fallait-il que son organisation sensible fût exaltée par quelque cause préexistante. Or, ce soir-là, Thérèse était encore sous l’influence du souvenir de son rêve, qu’elle interprétait comme un présage de mort.


— Thérèse, lui dit son amie, qui avait pris une forte disposition au sommeil dans une grande tasse de lait