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— À La Garde ? s’écria la jeune fille, bondissant à ce nom qui lui rappelait un temps de liberté et de récréation, que le couvent lui avait fait regretter bien des fois. Sommes-nous en vacances ?


— Je ne sais rien, Mademoiselle, sinon que je dois vous mener à La Garde, et vous y laisser sous la surveillance de Marie-Jeanne, la femme du jardinier. Ainsi, ne trouvez pas mauvais que j’obéisse à Madame.


— Je le trouve très bon, au contraire ! reprit gaîment Antoinette, qui voyait sans appréhension le but de ce voyage qu’elle ne comprenait pas : je vais réaliser mon rêve, et faire des pelotes de neige tout à mon aise.


La Garde était un ancien château féodal, dont le père d’Antoinette tirait son nom patronymique. Ce château, qu’on a rebâti depuis avec l’architecture du XVIIIe siècle, présentait encore en 1643 l’aspect d’une forteresse flanquée de tours, munie de créneaux et entourée de fossés. L’intérieur de ce manoir répondait à son extérieur et témoignait partout de son antiquité. Vastes salles, aux murailles tendues de tapisseries ou couvertes de cuir doré, aux larges cheminées à manteau exhaussé, aux fenêtres étroites fermées de petits vitraux ; longues galeries décorées de trophées d’armes et de portraits de famille ; sonores escaliers en colimaçon ; multitude de chambres et de cabinets, de portes et de trappes ; meubles rares et délabrés ; pavé froid et humide ; en un mot, habitation aussi triste que peu commode. C’était là pourtant que les aïeux de madame de La Garde confinaient leur vieillesse, après une vie consacrée au service de leur pays et de leur souverain. Madame de La Garde, que son rang retenait