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tout son corps d’une couleur rougeâtre, qui lui donnait une figure encore plus extraordinaire et plus effrayante. Les deux chartreux, qui priaient à la porte du pressoir, furent distraits de leurs prières par le mouvement qui s’opérait dans la cuve, et dès qu’ils virent s’élever au-dessus de cette vaste cuve un personnage auquel leur épouvante prêta des formes gigantesques et des traits surnaturels, ils se signèrent et s’enfuirent. Scarron jugea prudent de les imiter, avant qu’ils eussent donné l’alarme, et il fit si bonne diligence, dans cette dernière fuite, qu’il heurtait à la porte de son oncle, en même temps qu’on sonnait les cloches au couvent.


La vieille gouvernante, qui vint ouvrir, tout en larmes, ne pouvait reconnaître son petit Paul, sous ce masque de suie, de plumes et de vin. Elle s’imagina que le diable emportait l’âme de son maître, et elle recula en arrière, les yeux fermés, les dents serrées et les bras au ciel. Scarron essayait de la rassurer, en lui demandant du linge et un lit chaud, mais sa voix et ses caresses ne réussirent pas à la tirer d’erreur, et elle se cachait le visage, se bouchait les oreilles et s’obstinait à ne répondre qu’en marmottant le De profundis. Scarron, perclus de froid et tremblant de fièvre, changea de ton et de manières, l’invectiva et la rudoya, ce qui fut plus efficace.


— Or ça, sorcière du diable ! s’écria-t-il en colère : veux-tu que j’éveille mon oncle par ce vacarme, et désires-tu que je sois réprimandé, par lui, de ma triste mascarade ?


— Seigneur Jésus ! reprit la gouvernante, en gémissant ; monsieur votre oncle est près d’expirer. Dès qu’il apprit que vous étiez noyé, il fut attaqué de paralysie et d’apoplexie ;