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mais il eut, par prudence, la précaution d’attendre qu’il fût hors de sa prison pour se faire connaître : la corde remuait et se tendait, en criant sur la poulie ; il aperçut le jardinier, qui s’était mis en devoir de tirer de l’eau : il s’accrocha d’une main à cette corde qu’il n’avait pas quittée, et se suspendit de l’autre main au seau qui montait, en se recommandant à son ange gardien.


— Tais-toi, poulie criarde, demain tu seras graissée ! disait le jardinier, en chancelant, par suite des libations auxquelles l’alerte de la nuit avait donné lieu parmi la valetaille. En vérité, l’eau pèse plus que le vin, et je suis sage de n’en jamais boire. Ce vilain seau n’est pourtant pas rempli d’or, mais on croirait, à sa lourdeur, que le diable est dedans !


À ces mots, il se trouva face à face avec Scarron, qui, craignant de se voir de nouveau précipité dans la citerne, s’était élancé d’un bond sur la margelle du puits, en tenant avec ses deux mains la corde immobile. Le jardinier ferma les yeux, lâcha la corde, plia les genoux sous lui et murmura les prières des agonisants, pendant que, sans le remercier, Scarron, qui avait mis pied à terre et qui reconnaissait les jardins de l’hôtel où il se trouvait, dégourdissait ses jambes presque inertes, en courant à perdre haleine, avec l’espérance de gagner une petite ruelle qui longeait le clos des Chartreux et aboutissait à la rue d’Enfer.



« Tais-toi, poulie criarde ! disait le jardinier. Demain tu seras graissée. »


Le jardinier, se sentant fort de l’éloignement du diable qui ne l’avait pas même touché, se releva, en criant à pleins poumons, et mit en branle une cloche qui servait à appeler les ouvriers. On répondit, on accourut à ses clameurs,