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temps-là, ce n’était pas hier, on voyait, à la place qu’occupe aujourd’hui la Chartreuse des révérends Pères, un château ruiné, où le diable menait son sabbat et tordait le cou à ceux qui s’en approchaient, malgré le bruit infernal qu’on y faisait ; mais les Chartreux obtinrent du roi d’alors la donation de cette maison assez mal famée, et ils en chassèrent le malin esprit, à force d’exorcismes et d’eau bénite. Depuis que Dieu a conquis ce domaine du diable, qu’on nommait alors le château de Vauvert, le diable s’efforce d’y revenir, de temps à autre, pour reprendre son bien ; à cet effet, le tentateur maudit emprunte maintes formes diverses, les plus diaboliques qu’il peut imaginer. Il faut donc, si on le rencontre sur son chemin, le battre sans miséricorde, jusqu’à ce que le jeu ne lui plaise guère, fît-il semblant de demander grâce et de rendre l’âme, comme une personne mortelle : on est sûr de gagner ainsi le paradis.


Scarron, qui n’avait pas perdu un mot de cet entretien, n’osait pas bouger, de peur de porter la peine du diable de Vauvert, et de n’avoir pas, comme ce vieux diable, la ressource de se réfugier en enfer. Un reflet de la torche du jardinier, errant sur son visage noirci, ajoutait un caractère merveilleux à son étrange aspect ; mais les deux interlocuteurs s’écartèrent, sans jeter un coup d’œil au fond de la citerne. Scarron respira plus librement, quoique ses dents claquassent de froid, quoique ses jambes mouillées fussent comme paralysées, et quoique le miel pénétrât dans ses chairs comme des pointes d’aiguilles rougies au feu. Les recherches aux flambeaux continuèrent durant une heure, redoublant les terreurs du prétendu