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crainte de la tarir, » suivant l’expression d’une Précieuse, qui représentait la neuvième Muse. Quelqu’un déclara, d’enthousiasme, que le poète Théophile, mort l’année précédente, n’avait fait que changer de corps, par métempsycose, et revivait, plus gaillard que jamais, dans cet aimable improvisateur. Mais un examen plus attentif de l’accoutrement extraordinaire du diable emplumé avait fait naître de singuliers soupçons : les deux lévriers que Diane menait en laisse léchaient les jambes de Scarron, comme s’ils prenaient goût à ce régal ; car le miel, fondant à la chaleur, égouttait sur ses traces et laissait à nu la peau, en quelques endroits du corps, surtout aux coudes et aux genoux ; enfin, ce miel, fermenté et mêlé à des ruisseaux de sueur, exhalait une odeur acre, qui ne ressemblait pas trop à l’ambroisie.


Tout à coup, par malice ou curiosité, les neuf Muses, qui entouraient ce diable de poète, lui arrachèrent quelques plumes, assez adhérentes à la chair pour n’en être pas séparées qu’avec une cuisante douleur ; Scarron cria qu’on l’écorchait vif, mais l’exemple était donné ; ces plumes arrachées avaient mis à découvert une peau luisante et collante : alors ce fut à qui plumerait, de toutes mains, le malheureux : hurlant comme un véritable démon, il implorait grâce, il se débattait, il se roulait par terre, il poussait des cris, mais ses contorsions et ses clameurs ne faisaient qu’exciter les rires et les cruautés de la bande céleste, qui se ruait sur lui pour le dépouiller de son duvet postiche. La plaisanterie tourna en injures et en mauvais traitements, lorsque la nudité indécente du personnage fut dûment constatée, et Scarron aurait peut-être été déchiré