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corrompre et détruire le germe de la dent à venir.


Cependant d’Assoucy, en revenant à lui, avait gémi de se trouver bâillonné et garrotté comme un criminel ; son ressentiment ne fut pas diminué quand il reconnut que sa mâchoire était intacte et qu’il n’avait pas perdu une seule de ses dents, mais il ne détesta pas moins, dans son for intérieur, la barbarie tyrannique de l’arracheur de dents, qu’il eût voulu poignarder de sa propre main ; il se calma pourtant, en pensant que bien d’autres seraient plus maltraités que lui, et la souffrance qu’il avait ressentie en idée était compensée par la souffrance plus réelle des imbéciles badauds qui ajoutaient foi aux grossiers mensonges de leur bourreau ; il écoutait donc, en riant, les hurlements que Fagottini arrachait, avec les dents, à quelques-uns des patients. Mais il ne songea plus qu’à se dérober à de plus longs tourments, dès qu’il s’aperçut que la corde mal nouée n’entravait pas la liberté de sa main droite : il se servit de cette main pour se débarrasser de ses liens et de son bâillon. Aussitôt qu’il eut recouvré l’usage de ses membres, il oublia tous ses serments de vengeance et n’eut plus à cœur que de mettre en sûreté sa mâchoire ; il s’arma d’audace et de résolution, pour traverser le théâtre où Fagottini opérait en public, et l’affluence y était si compacte et si empressée, qu’il ne fut pas même remarqué dans la foule, au milieu du bruit ; déjà il se croyait sauvé, et son masque noir, qu’il avait effacé à demi avec un linge mouillé, ne pouvait plus aider à le faire reconnaître : par malheur, son cou et ses oreilles n’avaient point été débarbouillés comme sa figure.