Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/167

Cette page n’a pas encore été corrigée

plus belle qu’elle n’était. Or, je vous convie à venir demain voir la dent neuve, qui aura poussé, cette nuit, et si ce n’est pas assez d’une pour vous convaincre, je veux en faire sauter deux trois, l’une après l’autre, tant la graine est abondante, tant le terrain est fertile.


— N’approchez pas, abominable homme ! interrompit d’Assoucy à voix basse, épouvanté du regard satanique de l’Italien qui le menaçait de ses terribles tenailles : n’approchez pas, sinon je vous mords jusqu’au sang, je vous égratigne la face et vous crève les deux yeux !


— Mon fils, quelle mouche te pique ! reprit doucereusement Fagottini, qui ne voulut pas pousser à bout le désespoir du malheureux enfant, qu’il emporta dans ses bras derrière le théâtre, en lui disant, à l’oreille, de compter ses dents et de se taire. N’ayez pas peur, messires et mesdames, dit-il en reparaissant devant son public : mon nègre n’est point enragé, comme on pourrait le croire ; c’est une maladie qu’il prit en nourrice, pour avoir été piqué d’un serpent ; mais, dès que l’accès commence, j’ai grand soin de l’écarter du monde, afin qu’il ne blesse, ne morde et n’empoisonne personne. N’aurais-je pas plus sagement fait de lui arracher toutes les dents ?


Cependant d’Assoucy jetait de tels cris, que le rusé Italien jugea prudent d’aller lui imposer silence, bon gré, mal gré, et n’essaya pas de le calmer avec de bonnes paroles : il se jeta sur lui, sans mot dire, et le serrant dans ses bras, à lui faire perdre haleine, pour l’empêcher de mordre et de crier, il le déposa évanoui dans le fond de l’échoppe ; puis, avant que l’enfant eût repris sa fureur avec ses sens, il le bâillonna et le lia de fortes cordes,