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— Messieurs et mesdames, avisez cette denture plus aiguisée que canif, et plus polie qu’ivoire. Eh bien ! ce garçonnet avait de naissance toutes les dents ébréchées, gâtées et mal agencées : c’était un chaos piteusement entassé dans sa bouche ; or, il nous fallut arracher toutes ces méchantes dents pour les remettre en plus bel ordre, et la nature fut si rétive, qu’elles ne revinrent dans le bel état où vous les voyez, qu’à la troisième pousse. Tenez-moi donc pour ignorant et calomniateur, si demain cette dent-ci que je vous montre et qui n’est plus bonne à rien n’a produit nouveau germe et nouvelle dent, pour le triomphe de mon art ! Goûtez vous-même après, si cela fait le moindre mal à l’estomac !


Il voulut joindre l’exemple au précepte et fit semblant de tirer une grosse dent de la bouche de d’Assoucy, qui n’eut pas même le temps de se préparer à ce tour de passe-passe, et qui jeta un cri de douleur, en contradiction avec les promesses du charlatan. Celui-ci ne daigna plus s’occuper de son nègre, qui, pâle et tout en larmes, crut avoir perdu la dent et la voir toute sanglante entre les mains de l’opérateur.


Fagottini prolongeait l’effet de ce coup de théâtre imprévu, par de burlesques commentaires.


— Par sainte Appoline qui guérit les maux de dents ! disait-il en se pavanant : arracher ou plutôt extraire une dent, fût-ce la plus grosse et la mieux enracinée, c’est moins que rien, et la douleur a les airs du plaisir. Voyez mon petit négrillon, qui se soucie de sa dent comme d’un cheveu, parce qu’il sait qu’elle ne tardera pas à reparaître