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Savoyard n’eut pas plutôt entonné sa chanson plaintive, que ses auditeurs lui furent enlevés par la langue dorée de Fagottini.


— Bons chrétiens que tourmente le mal de dents ! disait d’une voix perçante le signor Fagottini, tandis que d’Assoucy gambadait à ses côtés en remuant les mâchoires, monsieur mon singe est mort hier, et mes marionnettes en ont pris le deuil. Avant qu’elles se soient consolées, ce qui ne sera pas de longtemps, puisque je les mène en Italie, à la cour de notre saint père le Pape, j’ai fait vœu d’arracher, gratis ou à petits frais, toutes les dents malsaines, puantes ou douloureuses, qui sont encore plantées dans vos bouches ; cela, s’il vous plaît, pour la gratitude singulière que j’ai toujours eue à l’égard des gens de Paris. C’est pourquoi je possède un miraculeux secret, pour faire repousser sur-le-champ les dents que j’ôte, de telle sorte que, deux jours après la dent arrachée, les choses se rétablissent d’elles-mêmes en leur premier état. On peut dire avec assurance que les plus grands saints du paradis n’inventeraient pas un remède plus efficace : par exemple, une vieille édentée retrouvera de quoi mordre, et je pourrais citer un vénérable cardinal, qui onc ne perdra plus ses dents, les ayant fait enlever toutes, dût-il vivre deux fois centenaire.


Cette impertinente allocution, débitée avec une assurance emphatique, rencontra peu d’incrédules ; mais si chacun se rendait bien compte, à part soi, de ce qui pouvait manquer à sa mâchoire, personne n’osait courir la chance de l’essai du fameux remède. Fagottini avait déployé ses formidables tenailles d’acier, qui firent reculer