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à mettre la main à la poche, pour payer sa place et son plaisir.


Le Savoyard ne remarquait pas de si avantageuses dispositions dans son auditoire clairsemé : il préludait tristement à sa fameuse complainte sur la mort du malheureux Conchine (on avait francisé ainsi le nom italien de Concini) ; mais l’événement qui avait fait le succès de cette complainte était vieux de deux jours, et la vindicte populaire s’était rassasiée sur un cadavre. On ne s’occupait même plus de la maréchale d’Ancre, qui, emprisonnée à la Bastille, devait être jugée pour crime de lèse-majesté divine et humaine, et condamnée six mois après, à être brûlée vive comme sorcière.



L’apparition d’un musicien nègre.


— Bourgeois et habitants de la célèbre et bonne ville de Paris, reine et capitale du monde, s’écriait le Savoyard, en accordant son instrument, je suis Philippe, dit le Savoyard, héritier légitime du poète grec Homère, auquel j’ai l’honneur de ressembler en ma qualité d’aveugle ; le Pont-Neuf est mon Parnasse, le Cheval de bronze est mon Pégase, et la Samaritaine est la source de mon Hélicon. Je veux aujourd’hui, si vous ne jeûnez de grasse gaieté, vous chanter la chanson pitoyable et récréative d’un cordonnier, qui se coupa la gorge de son tranchet, parce qu’il avait fait des souliers trop étroits à ses pratiques. Oyez, oyez, messeigneurs, oyez cette gentille poésie, la belle complainte de l’honnête cordonnier.


L’annonce d’une chanson que recommandait un titre aussi piquant opéra un mouvement dans le public qui se partagea en deux groupes tumultueux, selon la préférence de chacun pour l’un ou l’autre spectacle ; mais le