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— Par la damnation de Judas ! reprit Fagottini, en réfléchissant au parti qu’il pouvait tirer de ce petit drôle, resté en otage dans ses mains, pour répondre de l’attentat du Savoyard, je consens à te pardonner, à condition que tu veuilles me servir avec le même zèle que tu servais ton ancien maître. Il s’agirait de jouer du luth et de divertir les passants, au lieu et place de mon singe défunt.


— Sans doute, je le veux bien, monseigneur, pourvu que vous me donniez abondante nourriture et de gros gages en surplus, sans aucune pitance de coups, chiquenaudes, nasardes, etc. Si tel est notre marché, je suis, de ce jour, votre tout dévoué serviteur.


Le traité fut conclu de part et d’autre, avec un empressement qui ressemblait à de la bonne foi, et aussitôt il commença d’être en vigueur ; car, avant d’apporter à son nouveau valet la nourriture dont celui-ci avait le plus pressant besoin, Fagottini se l’appropria tout à fait, en l’habillant d’un vieux costume italien, dont la richesse primitive avait disparu sous une double couche de poussière et de crasse : c’était la livrée du singe aux grands jours de gala, et d’Assoucy, qui succédait directement à l’animal, quitta presque à regret l’habit galeux et la pauvre condition de page de musique. Il espérait que la métamorphose qu’on lui faisait subir ne s’étendrait point au delà ; mais Fagottini, pour mieux déguiser l’origine de son heureuse acquisition, lui barbouilla la figure et les mains d’une teinture noire, qui pénétrait dans les pores de la peau et y laissait une empreinte ineffaçable. L’infortuné d’Assoucy protesta vainement contre cette violation de son traité, qui, en faisant de lui le successeur d’un singe,