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— Bien, mon fils ! dit le Savoyard, en poussant du pied le corps du singe. Le temps des représailles est venu : hier l’Italien Concini mourut, aujourd’hui l’Italien Fagottini sera ruiné. Ça ! remets entre mes mains ces méchantes bêtes de marionnettes, et, mordié ! je veux chanter faux comme un âne rouge, si je fais grâce à pas une. Bien ! donne-moi tous ces coquins d’acteurs ! J’en veux faire un massacre général, plus complet que le massacre des saints Innocents. Je me réjouis de songer à la piteuse grimace que fera monsieur mon voisin du Pont-Neuf.


Le Savoyard, qui ne perdait pas les moments en paroles, soulageait ainsi son humeur vindicative par un monologue d’injures et d’amères railleries, pendant qu’il démembrait et disséquait avec un féroce plaisir les automates, que son complice lui apportait un à un, en faisant solennellement le panégyrique des personnages dans les divers rôles où ils avaient obtenu le plus de succès. D’Assoucy riait tout bas de cette exécution à huis-clos, et plusieurs fois il faillit éclater en bruyante hilarité, au spectacle incroyable qu’il avait sous les yeux : le Savoyard, gravement assis sur les degrés de l’escalier, comme un magistrat en fonction, recevait des mains de son page chaque marionnette, à laquelle il adressait une allocution furieuse et qu’il condamnait ensuite capricieusement à différents supplices ; il arrachait les bras à celle-ci, et les jambes à celle-là ; il déchirait en lambeaux les robes dorées des princesses et cassait le nez à des majestés royales, le tout avec un véritable raffinement de cruauté, qui eût fait envie à un bourreau de la Grève. Un amas de membres rompus, de têtes brisées, de bustes