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la mémoire de l’Italien Concini. Mais la foule était plus curieuse de voir que d’écouter, et le Savoyard se plaignait de ce qu’on ne lui ouvrît point un chemin jusqu’à l’objet inanimé de son fougueux ressentiment ; la difficulté d’avancer augmentant à chaque pas, d’Assoucy donna tout à coup un croc en jambe à l’aveugle, qui, en perdant l’équilibre, entraîna dans sa lourde chute plusieurs de ses voisins, aux vêtements desquels il s’était accroché. Ils tombèrent les uns sur les autres, en jurant tous à la fois et s’entortillèrent mutuellement, sans pouvoir se relever, tandis que d’Assoucy se hâtait de gagner le large.

— Ô le traître ! ô le félon ! se mit à crier le Savoyard, attribuant aussitôt sa culbute à son page, qu’il soupçonnait d’avoir pris la fuite ; à l’aide ! au secours ! bonnes gens, arrêtez-le, ramenez-le-moi, je vous prie ! Il court à belles jambes de ce côté, vous le reconnaîtrez à son habit de perroquet. C’est un larron, c’est lui qui a volé le cotignac ! C’est lui qui volait le produit de mon travail ! Nous le ferons pendre au son de ma musique.


D’Assoucy, qui s’éloignait en tapinois, après avoir fait choir son maudit aveugle, fut frappé de terreur, quand il l’entendit se déchaîner ainsi en amères récriminations : le vol de cotignac, qu’on lui reprochait à haute voix, vint se représenter vivement à son esprit, et il se persuada que plus d’un passant en avait été témoin. Il s’imagina aussitôt que tous les regards, que tous les sourires le désignaient comme le voleur de cotignac : sa vue s’obscurcit, ses membres tremblèrent, ses idées s’égarèrent, ses jambes se dérobèrent sous lui : il faillit se livrer lui-même, faute de pouvoir s’enfuir.