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une table avec autant d’aisance que s’il eût fait usage de ses yeux, sentit un obstacle à ses pieds qu’il voulut allonger, et, y portant la main vivement, rencontra un bras, une tête, puis un petit être vivant, qu’il tira de dessous la table, et qui n’eût pas donné signe de vie, sans une chiquenaude que l’aveugle lui appliqua sur le nez, et sans une rude secousse à laquelle il obéit en se mettant à deux genoux, dans la posture d’un enfant qui attend une correction souvent donnée et reçue.

— Holà ! qui est celui-ci ? demanda le Savoyard, d’un accent terrible : encore quelque malin compagnon, qui s’est introduit céans pour piller mes chansons et ma musique ! J’ai promis d’étrangler le premier que je trouverais en flagrant délit de vol, fût-ce un fils de famille… Mordié ! pourquoi ne vas-tu pas récolter une riche moisson d’écus chez maître Fagottini, drôle ?

— Parlez plus bas, compère, interrompit d’Assoucy qui ne se débattait point sous la vigoureuse étreinte du Savoyard ; sauvez-moi de la prison, en m’honorant de votre benoîte sauve-garde. Ces gens sont trop outrés contre moi, qui ne les ai pourtant offensés, et s’ils me découvrent, ils n’auront pitié de mon âge, ni de mon innocence : j’en tremble !

— Ma fi ! c’est le voleur de cotignac, j’imagine, répliqua le chanteur, en ricanant. Tu as sans doute, petit drôle, l’innocence de Barrabas ou du bon larron de l’Évangile ? Eh bien ! je serai clément, et ne te livrerai pas, à condition que tu t’engageras à mon service, pour remplacer mon second page de musique, qui est mort hier de la gale.

— Ne vous moquez pas, maître Philippe, un âne brait