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la convalescence du vieux conteurs

Cependant les enfants me reviennent bientôt, quel que soit leur étonnement à ma première apparition ; eussent-ils couru se cacher derrière le fauteuil de leur père ou dans les bras de leur mère, il suffit que mon nom soit prononcé, pour les ramener à l’instant jusque sur mes genoux ; car ma réputation de conteur s’est répandue parmi eux, avant qu’ils aient appris à lire ; on chérit tant les contes, à cet âge, qu’on est plus exigeant sur la quantité que sur la qualité : sans être un Berquin, un conteur de bonne volonté amuse et instruit facilement à la fois des intelligences neuves et impressionnables ; il suffit de savoir se faire écouter, et bientôt on a un auditoire plus attentif, plus silencieux, plus fidèle, que celui de toutes les académies du monde ; car l’intérêt du récit tient lieu d’éloquence.

Or, voyez comme à mon insu j’ai contracté l’engagement éternel de faire des contes aux enfants, moi qui ai rempli ma longue carrière d’études spéciales, arides et monotones, moi qui journellement amasse dans ma mémoire des dates et des matériaux historiques ! Néanmoins, je n’ai jamais eu la maladresse et l’incurie de traîner mes contes dans la route battue des enfantillages frivoles, niais ou absurdes ; j’accorde à l’enfance plus d’estime qu’on ne fait dans bien des systèmes d’éducation, et je tâche toujours de l’élever, au lieu de la rabaisser. Je ne lui prête pas mon dos pour y monter à cheval, comme Henri IV lui-même m’en donne l’exemple ; je ne vais pas, débile et cassé que je suis, me