Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/128

Cette page n’a pas encore été corrigée

ses deux petits valets, appelés pages de musique, qui jouaient du luth et des cimbales, et son chien galeux, qui battait la mesure avec sa patte.

Le seigneur, ou plutôt le signor Fagottini, était un Napolitain, qui cherchait fortune loin de sa patrie, et qui savait l’art de délier les cordons des bourses les plus serrées ; son métier se composait de plusieurs branches lucratives : il arrachait les dents, teignait la barbe et les cheveux, tondait les chiens, et possédait une pharmacopée de drogues, pour cicatriser les plaies, adoucir la peau, farder le visage, et vendait à bas prix la très véridique eau de Jouvence, disait-il, en aspergeant le vulgaire d’une eau puante qu’on recevait à la ronde comme manne céleste. Mais, pour ajouter un nouveau prix à ses consultations, il les faisait précéder premièrement d’une scène de marionnettes mécaniques, qui se mouvaient avec des fils invisibles, et auxquelles il prêtait un langage humain. Ces petites figures de bois, sculptées, peintes et accoutrées comme des êtres vivants, produisaient de loin une illusion si étrange, que le peuple attribuait à leur propriétaire la puissance d’un véritable sorcier, et tremblait de peur, en faisant un signe de croix, au grincement de la crécelle qui annonçait à l’assemblée qu’on allait tirer le rideau et commencer le spectacle. On assurait que le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois avait failli excommunier les marionnettes et le sorcier qui les montrait.

Enfin, pour comble de merveilleux, Fagottini avait un singe apprivoisé et plus instruit, disait-il, qu’un bachelier ès-lettres de la très vénérable Université ; on eût dit qu’une âme intelligente s’était égarée dans ce corps de