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rivalisait avec la place Royale, sinon en grandeur et en magnificence, du moins en tristesse et en monotonie : ceux-ci se tordaient le cou à regarder au-dessous d’eux les têtes gigantesques de satyres, qui supportent la corniche extérieure du pont ; ceux-là circulaient, en extase, devant la statue équestre de Henri IV, en bronze, chef-d’œuvre de Jean Boulogne, dont le piédestal et les bas-reliefs n’étaient pas encore terminés ; mais le plus grand nombre, femmes, enfants et gens de toute espèce, accouraient aux représentations gratuites que les charlatans, arracheurs de dents, vendeurs d’onguents et crieurs de reliques, offraient au public qui entourait leurs tréteaux, pour recruter des chalands et des dupes.

Le Pont-Neuf résonnait du bruit perpétuel des trompes, des fifres, des tambours et des luths, accompagnés de chants, de cris, de rires, de huées ou d’applaudissements. Chaque pile du pont était couronnée d’une plate-forme demi-circulaire, que remplissait une tente soutenue par des perches, ou bien une baraque mobile en bois. Ici un bohémien en costume mauresque, le visage jauni avec du safran, et coiffé d’un bonnet pointu, accaparait une nombreuse et crédule clientèle, en pronostiquant l’avenir, d’après les planètes, les nombres, les songes et les lignes de la main ; là, un opérateur, en robe noire, bésicles sur le nez, et tenant une fiole d’eau claire, promettait la guérison de tous les maux, et débitait sa marchandise, qu’il décorait des titres les plus pompeux et les plus bizarres ; plus loin, des pèlerins, le bourdon à la main, le manteau parsemé de coquilles sur les épaules, racontaient les miracles des lieux saints, qu’ils n’avaient jamais vus, et