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introduction.

inspirer n’acquiert tout son développement qu’à la suite d’une connaissance réciproque, plus ou moins prompte à s’établir entre nous ; je ne dédaigne jamais d’en faire tous les frais, et je crois que l’amitié peut avoir de fortes racines dans un tout jeune cœur : les petits amis n’ont pas souvent l’ingratitude des grands.

Mon extérieur grave et bizarre, je l’avoue, ne prévient pas d’abord en ma faveur ces esprits légers, joyeux, craintifs, nouveaux dans la vie, ignorants de tout et surtout des hommes. Les enfants qui me rencontrent pour la première fois, sans avoir été apprivoisés d’avance par mon nom, qui est familier à la plupart d’entre eux, s’effarouchent, s’effraient et s’enfuient, à l’aspect inaccoutumé de ma physionomie et de mon costume. Il y a du Croquemitaine en mon air, et je ne m’abuse pas sur l’étrange caractère des traits de mon visage anguleux, grimaçant, ridé et jauni, sur la menaçante longueur de mon nez, sur le regard sévère de mes yeux couverts de gros sourcils blancs. Ma haute taille, encore droite, cependant, contraste avec ma maigreur et me donne un air assez imposant. Quant au costume, il est plus commode qu’élégant, et je ne trouve pas mauvais qu’on en rie ; mais mon bonnet de coton, noué d’un ruban noir, préserve du froid ma tête chauve, mieux que ne ferait une perruque blonde ou poudrée, et mon ample robe de chambre, en soie à fleurs, dissimule les distractions ordinaires de ma toilette : c’est, d’ailleurs, une mise fort convenable pour les bouquins qui forment ma société et mon cortège.