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avec un cœur enflé et comme des juges, cette même cathédrale vous eût vus apporter des pierres dans ses fondements. Si même, sans changer de siècle, vous étiez né dans telle partie du globe que je pourrais nommer, seriez-vous ce que vous êtes ? Pourquoi la France est-elle catholique, la Prusse protestante, l’Asie musulmane ? D’où vient cette énorme différence entre des peuples si voisins pourtant ? Une parole diverse a prévalu chez eux, un enseignement divers a produit des âmes, des croyances, des mœurs différentes. Oui, les nations et les siècles subissent le joug de l’autorité, et l’imposent à leur tour ; ils héritent des préjugés et des passions antérieurs, les modifient par des préjugés et des passions nés de ceux-là, et cette mobilité des temps, qui semble accuser l’indépendance de l’homme, n’est que l’effet d’une soumission à des tyrannies qui s’engendrent l’une de l’autre. Les tyrans changent, la tyrannie ne change pas. Et, chose singulière, on se glorifie d’être de son siècle, c’est-à-dire de subir avec conviction les préjugés du temps où l’on vit.

Pour nous, chrétiens délivrés par l’Église, nous ne sommes ni du siècle présent, ni du siècle passé, ni du siècle à venir, nous sommes de l’éternité. Nous ne voulons nous soumettre à l’enseignement ni d’un siècle, ni d’une nation, ni d’un homme ; car ces enseignements sont faux, puisqu’ils sont variables et contradictoires. Sauf, en effet, un certain nombre de phénomènes constatés par l’expérience, sauf quelques axiomes qui sont le fondement de la raison humaine,