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minges, le vicomte de Béarn, le roi d’Aragon Pierre II, dont il avait épousé la sœur, et il était tranquille du côté de la Guienne, possédée par les Anglais. Philippe-Auguste, son suzerain, occupé chez lui par ses querelles avec l’Angleterre et l’Empire, ne pouvait être le chef de la croisade, et sans ce chef, le seul à craindre, l’armée des croisés, composée de bandes mal unies, n’avait guère à se promettre que de fragiles victoires et une dissolution naturelle plus prompte encore que les revers. Maître de toute la ligne des Pyrénées, ayant derrière lui l’Aragon pour le soutenir, à droite et à gauche deux mers inoffensives, autour de lui une multitude de villes fortes défendues par des vassaux dévoués, le comte Raymond avait mille chances d’être supérieur à ses ennemis. La guerre des Albigeois était donc une guerre sérieuse, où les difficultés morales surpassaient encore les difficultés stratégiques. Car que faire de ce pays une fois qu’on en serait maître ? Nous verrons le sens exquis et généreux d’Innocent III, sans cesse averti qu’il y avait là un abîme, et un grand capitaine, victorieux d’abord, tomber sous le poids de ses afflictions avant d’être atteint de la mort du soldat.

Dès qu’Innocent III eut appris le meurtre de Pierre de Castelnau, il écrivit une lettre aux nobles hommes, comtes, barons, chevaliers des provinces de Narbonne, Arles, Embrun, Aix et Vienne, dans laquelle, après avoir dépeint avec éloquence la mort de son légat, il déclarait le comte de Toulouse ex-