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À TOUS LES DÉMOCRATES


L’AGRICULTEUR


JOURNAL DU DIMANCHE


Voici plus de dix-huit ans que les paysans gouvernent la France — par délégation.

Nous respectons en droit le suffrage universel. Le peuple est et doit être souverain. Mais, au sortir d’un long abaissement, le peuple, ignorant et crédule, pauvre et dépendant, privé de tout moyen de juger les faits et les hommes, ne pouvait qu’abdiquer, en abaissant avec lui tous le même joug, par la force du nombre, la partie éclairée de la nation.

À partir de l’établissement du suffrage universel, la tâche de la démocratie était évidente : éclairer le peuple, et particulièrement celui des campagnes, plus ignorant et plus nombreux.

De grands obstacles sans doute se sont opposés tout d’abord à l’accomplissement de cette tâche. Mais depuis que les droits imprescriptibles de la parole et de la pensée ont repris quelque autorité, c’est vers les campagnes qu’auraient dû se tourner tous les efforts de la démocratie, puisque c’est là, on le sait trop bien, que se trouve le nœud d’une situation si lourde à tout ce qui pense et si funeste à l’honneur et à la prospérité réelle du pays.

On l’a vu tout récemment, — et cet exemple a été assez éclatant pour dissiper toute illusion, — le mouvement démocratique des villes ne s’étend pas aux campagnes. Tout rayonnement s’arrête à ces ténèbres ; et d’ailleurs, il faut bien s’en rendre compte, la lutte des opinions, tant de voix diverses, ne peuvent que troubler des esprits incultes. Nous parlons un langage qu’ils ne comprennent pas.

C’est pour cela que l’envoi des journaux de Paris dans les villages n’a aucune utilité, et produit bien plutôt un effet contraire à celui qu’on attend.

Quant aux journaux de province, utiles dans les villes et les petites villes, ils sont aussi peu propres à faire de la propagande au village que ceux de Paris, dont ils reproduisent le langage et les préoccupations.

Les questions de personne n’intéressent pas plus le paysan que les questions de parti. La langue politique et la langue lettrée sont pleines d’allusions et de finesses qu’il n’entend pas. Il ne sait ni l’histoire de nos luttes récentes ni sa propre histoire. Il est, comme tout être humain, préoccupé de ce qui le touche ; seulement, le cercle des choses qui le touchent est très-étroit. Privé d’éducation morale et intellectuelle, il croit n’avoir que des intérêts matériels, et ceux-là même il les connaît mal. Comme il n’a aucune base pour asseoir son jugement, il s’en rapporte forcément à la routine, au pouvoir, à la peur de tomber dans un mal pire. Sa politique suit les cours du marché.

Il est donc nécessaire d’écrire pour le paysan un journal spécial, qui lui parle surtout de ses intérêts, mais on s’efforçant d’en agrandir le