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en concourant à ses plaisirs. Il y avoit un champ aride et pierreux, que traversoit une rivière, dont, à peine, on voioit l’eau verte et stagnante sous les joncs dont elle étoit couverte. On fait arracher les joncs ; on a donné du cours aux eaux ; on a paré cette rivière en la tenant dans l’état de perfection dont elle étoit susceptible ; on a fait depuis planter des bois sur ces bords, et ce champ, où personne n’alloit, est devenu un bosquet charmant dont on chérit l’ombrage, on l’a paré à l’aide d’ornements étrangers mais on a disposé ce bois de façon que, quoiqu’il soit peu étendu, on croit être dans une forêt immense ; on a paré ce bois en lui prêtant les charmes de l’imagination : ce qu’on a fait dans ce champ, toutte ou presque toutte femme peut l’exécuter sur elle. Si le besoin inventa les 1ers vêtements, la parure en augmenta considérablement l’usage. Si l’on en excepte une ceinture, utile à tous les peuples pour garantir les parties du corps qui, étant le siège du toucher, sont naturellement délicates et sensibles, et quelques peaux de bêtes, utiles à plusieurs pour les garantir des injures de l’air, le reste est dû à la parure. On suit plus la qualité des idées que la quantité des besoins. Si l’on nioit ce fait, qu’on nous dise pourquoi les peuples policés de l’Indoustan se vêtissent sous un ciel brûlant, tandis que le sauvage groenlandois, vivant au milieu des glaces, quitte ses habits en rentrant dans sa cabine pour ne les reprendre que lorsque le froid excessif du dehors l’y contraint ? Celuy ci est mû par la crainte de la douleur, l’autre suit l’attrait du plaisir ; le maure fortuné, placé