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préférence les personnes assez jeunes pour n’avoir pu comparer encore les idées du plaisir ; ils scavent qu’elles ne peuvent connoître la beauté ; ils espèrent profiter des 1ers désirs que la nature fait naître avant que, par l’effet d’une comparaison fâcheuse, leur aspect ne suffise pour les détruire. Il n’en est pas ainsi de l’homme qui a quelque expérience. Les traits que la nature produit rarement, quelques formes qu’ils puissent avoir, ne lui rappelant aucun souvenir, ne lui donnent aucune espérance et conséquemment ne sont pas beaux à ses yeux. Si même ils sont trop étrangers, ou s’ils ressemblent trop à ceux de la vieillesse ou de l’enfance, temps où le plaisir a cessé d’exister ou n’existe point encore ; s’ils l’éloignent trop enfin, par quelque cause que ce puisse être de l’idée de jouissance qu’il ne cesse jamais de porter dans cet examen, alors, loin de l’attacher, ils le rebutent ; c’est l’assemblage de ces traits qu’il a nommé laideur. Ceux, au contraire, qu’il est accoutumé de voir, lui rappelant plus facilement ses idées de plaisirs, lui plaisent et l’attachent : c’est l’assemblage de ces traits qu’il a nommé beauté. En effet, qu’on examine les règles que se prescrivent les artistes dans les proportions des traits, et l’on trouvera que ce sont celles qui, pour chacun d’eux, pris séparément, se rencontrent le plus souvent dans la nature ; leur réunion seulle est rare, et, par cela même qu’elle est rare, elle manque son effet ; quand elle se trouve, elle est rare à tel point que nous sommes obligés d’en chercher les exemples dans les ouvrages de nos artistes ; mais ils suffisent à notre ob-