vivre seul, comme un loup cervier, et que c’est la société qui a dépravé la nature. Autant vaudroit-il dire que, dans la mer, les harengs sont ordinairement faits pour nager isolés, et que c’est par un excès de corruption qu’ils passent en trouppes, de la mer glaciale sur nos côtes, qu’anciennement les grues voloient en l’air, chacune à part, et que par une violation du droit naturel, elles ont pris le party de voïager de compagnie. »
N’est-ce pas une plus mauvaise plaisanterie de vouloir établir une analogie entre l’homme, les harengs et les grues ? Ce raisonnement a surtout le défaut de pouvoir être rétorqué avec autant d’avantage.
Quelques mauvais plaisants (pourroit-on dire) ont abusé de leur esprit jusqu’au point de hazarder le paradoxe étonnant que l’homme est originairement fait pour vivre en société… autant vaudroit-il dire que les bœufs et les chevaux étoient originairement faits pour vivre en troupeaux et en escadrons, et que c’étoit par un excès de corruption, ou par une violation du droit naturel, qu’ils erroient isolés dans les bois.
« Chaque animal a son instinct (continüe M. de Voltaire) et l’instinct de l’homme, fortifié par la raison, le porte à la société, comme au manger et au boire. »
C’est absolument mettre en fait ce qui est en question.
« Quiconque vivroit absolument seul perdroit bientôt la faculté de penser et de s’exprimer. »
L’homme isolé n’acquerroit pas la faculté de parler ; mais pourquoi n’auroit-il pas celle de penser et de s’ex-