sentir ; consentons à laisser notre âme dans l’engourdissement, notre esprit dans les ténèbres, à ne nous jamais servir ny de l’une ny de l’autre, à nous mettre au-dessous des animaux, à n’être, enfin, que des masses de matière brute attachée à la terre ».
Nous pourrions répondre, à notre tour, qu’il est plus doux de végéter que de vivre malheureux, de ne rien appéter que de pouvoir satisfaire son appétit, de dormir d’un someil apathique que d’ouvrir les yeux pour voir des objets désagréables et sentir douloureusement, qu’il vaut mieux laisser notre âme dans l’engourdissement que l’en tirer par la douleur, notre esprit dans les ténèbres que dans l’erreur, ne nous jamais servir ny de l’une ny de l’autre que d’en faire un pernicieux usage, et que pourvû qu’on fût heureux il importeroit peu d’être au-dessus ou au-dessous des autres animaux. Mais cette vaine déclamation nous jetteroit, ainsi que lui, hors de la question. En effet, l’homme naturel ne végète point : il vit, il appète, et satisfait son appétit ; il dort, non d’un someil apathique, mais d’un someil tranquille ; il sçait ouvrir les yeux pour voir et pour sentir ; son âme sensible connoit la pitié et l’amour ; son esprit est éclairé sur ses besoins ; il fait usage et de l’une et de l’autre ; il n’est point au-dessous des animaux, il est le 1er le plus fortuné d’entre eux.
« Nous ne supposons pas (c’est toujours M. de Buffon qui parle) qu’il y a une plus grande distance de l’homme en pure nature au sauvage que du sauvage à