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nüe mère à son tour, aura goûté la douceur de l’amour maternel, sans en ressentir les inquiétudes perpétuelles, souvent suivies d’un affreux désespoir ; dont l’imagination sage aura vu fuir sans regret son heureuse jeunesse ; qui aura seû, en vieillissant, éviter la maladie et les ridicules ; qui, enfin, scaura voir la mort sans effroi et s’endormir paisiblement de son dernier sommeil ; qui, exempte de chagrins personnels, n’en recevra point d’étrangers ; dont la fortune sera telle, qu’abondamment pourvûe du nécessaire, elle ne soit jamais embarrassée d’un superflu qu’elle ne désire point ; qui vivra sans ambition comme sans crainte ; qui, après avoir eû la plus grande sensibilité pour le plaisir, trouvera dans la douleur ou dans les privations le stoïcisme le plus philosophique… Mais cette femme n’est-elle pas une chimère ? Non, c’est trait pour trait, et seulement sous d’autres mots, l’histoire fidèle de la femme dans l’état de nature. On s’obstine pourtant à nous dire : cet état n’a jamais existé, il est impossible, il est invraisemblable. Cette question mérite d’être discutée.