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s’éloigne enfin et dit avec vérité : ce n’est pas là qu’est le bonheur. Mais, nous dit-on, vous feignez de chercher le bonheur et vous craignez en effet de le rencontrer. Nous entendons ce reproche et nous abandonnons les palais des rois.

Nous citera t’on, pour être heureuse, cette femme jeune, jolie et sensible, qui vient de s’unir à l’époux qu’elle adore et qui doute du bonheur d’un moment. Mais que l’intervalle est grand d’un moment de bonheur à une vie fortunée ! Scait’on quelles a été l’enfance et la jeunesse de cette femme, quelles sera sa vieillesse et sa mort, qui la garantira des accidents de tous les genres ? La crainte seulle qu’ils lui inspireront altérera sa félicité, et, d’ailleurs, après avoir joui de tout, ne faudra t’il pas tout quitter ? Plus la jouissance aura été délicieuse, plus la perte sera sensible, plus les regrets seront amers. Cherchons, au moins, dans notre imagination, ce que la société ne nous présente pas. Créons à notre gré une femme parfaitement heureuse, autant au moins que l’humanité le comporte ; ce sera celle qui, née d’une mère tendre, n’aura pas été livrée en naissant aux soins d’une mercenaire ; qui, plus grande, aura été élevée sous les yeux d’une institutrice également indulgente, sage et éclairée, qui, sans jamais la contraindre, et sans l’ennuier de ses leçons, lui aura donné toutes les connoissances utiles et l’aura exemptée de tous les préjugés ; qui, parvenûe à cet âge du plaisir, aura trouvé pour époux un homme toujours nouveau, amoureux sans être jaloux, assidû sans être importun ; qui, deve-