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de tant d’autres femmes, que sa figure a plus d’esprit qu’elle ; elle ne scait pas minauder, mais elle scait encore moins se contraindre ; son âme se peint sur son visage, et s’il exprime avec force la colère ou la terreur, le désir ou la volupté ne s’y peignent pas avec moins d’énergie. Sa taille est grande et forte, et ses embrassements, que sans doute l’homme naturel trouve trop faible encore, étoufferoient nos délicats petits maîtres.

Sa parure est sa chevelure flottante, ses parfums sont un bain d’eau claire[1]. Cet état, nous osons l’assurer, est le plus favorable à la jouissance[2]. Mais, dira t’on, qu’est-ce que les jouissances sans amour ? Âmes sensibles, nous pensons comme vous. L’amour est le consolateur de la société. L’homme social a païé ce bien de tous ceux que possède l’homme naturel. Tels nos 1ers pères, suivant la tradition, ne connurent la jouissance qu’après leur expulsion du paradis terrestre. Cependant, la femme naturelle est-elle sans amour ? Nous convenons qu’il ne sçaurait y avoir de passion suivie entre deux êtres qui se joignent sans s’être jamais vus, et, dans un moment vont se séparer pour ne plus se reconnoître. Mais ce moment n’est pas indivisible et, si nous l’observons

  1. Pour douter de la propreté rigoureuse de la femme naturelle, il faudroit n’avoir jamais observé les animaux sauvages.
    Note de Ch. de L.
  2. Femmes coquetes et dédaigneuses, regardez autour de vous. L’ardent jeune homme vous recherche. Ce n’est pas l’âge difficile ; mais celui qui commence à perdre ses forces n’en trouve plus pour vous ; il se ranime encore à la vüe d’une jeune et naïve villageoise. Tant est grand le charme de la nature.
    Note de Ch. de L.