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dangereux, il ne fait qu’empirer son mal. Le plaisir s’obstine à le fuir, si même il le rencontre quelquefois ce plaisir lui semble imparfait, il n’a plus la force de le goûter ; semblable à ces fruits précoces, que l’art arrache à la nature, il n’a ny qualité ny saveur, ce n’est qu’une apparence vaine : ainsi se venge la nature de l’être imprudent qui ose violer ses loix. Heureux encore, s’il portoit seul la peine de sa témérité ; mais sa postérité la partage ; de là, ces générations vaporeuses, rachitiques et pituiteuses, si communes aujourd’huy dans nos grandes villes, de là ces hommes dégénérés, qui nous font regarder, comme un roman invraisemblable, les monuments de la force de nos pères. La fille naturelle est à l’abri de ce danger ; jamais une table délicatement servie n’a provoqué un appétit satisfait ; jamais une oisiveté molle n’a laissé circuler dans son sang une trop grande quantité de sucs nourriciers ; jamais, surtout, des idées lascives n’ont enflamé son imagination. Vingt fois, cent fois, elle a vu s’accomplir devant elle l’acte de la génération ; elle n’a pas rougi, elle n’a pas fui, mais elle a continué sa route avec indifférence, et elle n’a pas jeté derrière elle un regard furtif ; elle a vû des yeux du corps, et non de ceux de l’âme ; ses sens dorment encore ; ils attendent, pour s’éveiller, le cri de la nature. On peut donc assurer, avec vraisemblance, que la puberté de la fille naturelle ne se manifestera (au moins dans un climat semblable au nôtre) qu’après que le corps aura presque fini sa croissance, et l’on peut assurer avec certitude que, dans tous les climats, la nature, livrée à