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— Gretchen ! Gretchen ! Où allez-vous, Gretchen ? s’exclama le juif en courant après la jeune fille.

— Je retourne chez moi, Monsieur, répondit-elle froidement. Je n’aime pas qu’on se moque de moi…et c’est ce que vous faites depuis le commencement de cet entretien.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous parlez de vingt-mille dollars, qui seront vôtres bientôt ; cependant, cet argent ne vous parviendra pas en héritage ; donc…

— Je vais tout vous expliquer ma chérie, si vous voulez bien m’écouter.

Roxane sentit battre son cœur bien fort. Enfin ! Il allait être question du petit papier bleu.

— Voici, reprit Silverstien ; j’ai, en ma possession un papier qui, pour un certain individu, a la valeur de vingt-mille dollars… Comprenez-moi bien, Gretchen : ce papier est très compromettant pour l’individu en question et j’ai promis de lui vendre pour la somme mentionnée.

— Je ne comprends pas tout à fait… dit la naïve Allemande.

— Cet individu a commis un crime, dont j’ai été témoin. Je lui ai donc fait signer une confession de son crime et pour ce papier (un papier de teinte bleue) il me donnera, d’ici quelques jours, vingt-mille dollars.

— Un bout de papier qui vaut vingt-mille dollars ! dit Gretchen, songeuse, oh ! que j’aimerais à le voir !

— Savez-vous lire le français, Gretchen ? demanda le juif.

Roxane hésita un moment… Qu’allait-elle répondre ?… De sa réponse dépendait tant de choses !…

— Non, je ne sais pas lire le français ; je ne connais que ma propre langue, et aussi un peu d’anglais.

— Alors, je vais vous montrer le papier en question, dit Silverstien. Ce n’est pas que je manque de confiance en vous, chérie ; mais, si vous aviez su lire le français, je n’aurais pu vous laisser voir cet écrit… pour bien des raisons…

Henric Silverstien retira de son gousset le portefeuille volumineux et crasseux que Roxane avait vu entre ses mains déjà, et bientôt, il montrait à l’amie de Lucie le papier bleu, preuve de l’innocence d’Armand Lagrève, et de la culpabilité de Champvert.

Roxane pâlit, et elle fut grandement tentée d’arracher le papier des mains du juif ; ce qui la retint c’est qu’elle craignit de déchirer ce précieux document, en ce faisant. Silverstien devait tenir le papier fermement entre ses doigts, et Roxane se demandait s’il aurait autant de valeur, s’il était déchiré… Non. Ce papier, il le lui fallait entier, et, Dieu aidant, elle l’aurait bientôt !

— Et vous voulez que je crois que ce bout de papier vaut vingt-mille dollars, M. Silverstien ! s’écria-t-elle, feignant l’incrédulité.

— Oui, Gretchen, assura le juif, en remettant le papier dans son porte-feuille. Il se disposait à mettre le porte-feuille dans sa poche quand Roxane l’arrêta du geste.

— Oh ! M. Silverstien, dit-elle, je donnerais je ne sais quoi pour tenir ce papier dans mes mains, quand ce ne serait qu’un instant ! Pensez-y ! Un papier qui vaut vingt-mille dollars !

Elle tremblait d’anxiété. Le juif allait-il remettre le porte-feuille dans sa poche et lui ôter, ainsi, toute chance de s’emparer de la confession de Champvert ? Être si près du but, et faillir ! !…

Pourtant, Silverstien regardait fixement Roxane, et un nuage, comme un soupçon, passa sur son visage… Pourquoi la jeune Allemande désirait-elle tenir ce papier dans ses mains ?… Et devait-il se rendre à son désir ? Cette jeune fille était charmante, douce, aimable, bien sûr, et il l’aimait tout son cœur ; mais, en fin de compte, il la connaissait à peine.

— Je ne vois pas quel plaisir ça pourrait vous donner de tenir ce papier dans vos mains, Gretchen, dit-il, assez froidement. Puis il remit son porte-feuille dans sa poche.

Des larmes coulèrent sur les joues de Roxane : elle avait essayé de gagner la victoire et elle avait été vaincue ! Le juif se défiait d’elle ; tout était perdu !

Silverstien fut, assurément, bien étonné de voir pleurer Gretchen. Il voulut s’approcher d’elle et la consoler.

— Gretchen… commença-t-il.

— Je me nomme Mlle Henric, M. Silverstien, dit la jeune fille, et veuillez ne pas l’oublier. Vous avez refusé la simple demande que je viens de vous faire ; encore une fois, adieu ! Tout est fini entre nous !

Mais Silverstien se jeta à genoux devant Roxane.

— Ne partez pas, chérie, ne partez pas ainsi, je vous en prie, de grâce ! implora-t-il.

— Laissez-moi passer, M. Silverstien !

— De grâce ! De grâce, Gretchen ! Je regrette, croyez-le bien, de vous avoir refusé ce que vous m’avez demandé, et ce papier, je vais vous le confier, pour un instant, dit Silverstien, en retirant, encore une fois le porte-feuille de sa poche.

Roxane avait peine à se tenir debout ; ses jambes se dérobaient sous elle. Le cœur battant à rompre sa poitrine, elle vit le juif retirer le papier bleu et le lui présenter. Sans se presser, et faisant des efforts inouïs pour essayer d’empêcher sa main de trembler, elle prit la confession de Champvert et y jeta les yeux.

— Maintenant, ma toute chérie, disait la voix de Silverstien, veuillez me remettre le papier. Vous comprenez, Gretchen, combien il est précieux ce chiffon !

Mais le juif recula soudain, car, devant lui se dressait la douce Gretchen, tenant, dans sa main gauche, le petit papier bleu, et dans sa main droite,… un revolver.

— Si vous faites un pas de plus, M. Silverstien, dit-elle, je tire !

— Ah ! Bah ! fit le juif. Si vous croyez, Gretchen que j’ai peur d’un revolver !

— Vous croyez peut-être qu’il n’est pas chargé ? fit Roxane. Je vais vous prouver le contraire… Voyez-vous cette petite branche, qui est à votre droite ? Je vais tirer dessus.

Ce disant, elle pressa sur la détente du re-