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mon cher neveu Hugues de Vilnoble. Elle m’a invitée fort cordialement à aller me promener chez elle. J’irai, si elle peut me recevoir, pour une semaine ou deux. Mlle Monthy est la gardienne des barrières de péage, vous savez. Il y a aussi sa petite sœur à Mlle Monthy : gentille Rita. Pauvre enfant ; elle est infirme !… Nous sommes de grandes amies mignonne Rita et moi. Mlle de St-Éloi, l’amie intime de Mlle Monthy, est aussi aux Barrières-de-Péage, dans le moment… Oh ! Mme Louvier, quel soulagement pour moi que de pouvoir passer quelques jours avec ces deux jeunes filles et cette enfant que j’aime ! Si Mlle Monthy veut bien me recevoir…

— Je suis certaine que vous serez la bienvenue, Madame, dit Roxane. Vous recevrez une réponse à votre lettre dans deux ou trois jours, au plus. Désirez-vous que la réponse me soit adressée, à moi plutôt qu’à vous ?

— Non, merci, ce n’est pas nécessaire, Mme Louvier… Je vais donc compter sur vous ?

— Certes oui ! Votre lettre à Mlle Monthy je la remettrai moi-même au facteur, demain, soyez-en assurée, Madame !

— Mille et mille fois merci ! dit Mme Dussol, en quittant la chambre de Roxane.

Roxane écrivit quelques lignes à Lucie, avant de se mettre au lit.

« Chère Lucie,

En même temps que ceci, tu recevras une lettre adressée à Mlle Monthy. Dans cette lettre dont Mme Dussol vient de me charger pour la remettre personnellement au père Noé, elle exprime le désir d’aller passer une semaine ou deux chez-nous. Je n’ai pas besoin de te dire, chère Lucie, quelle réponse tu dois écrire à cette bonne dame, hein ?…

Pour expliquer à Mme Dussol mon absence des Barrières-de-péage, tu pourras dire que je suis allée… disons… à Fort Chipewyan, soigner une de mes… tantes, qui est vieille et malade… Tu arrangeras bien cela je sais !

Cette pauvre Mme Dussol ! La vie n’est pas semée de roses, pour elle, aux Peupliers, je te l’assure !

Dis à Rita que je lui envoie mille baisers, et que j’espère être de retour chez-nous d’ici à un mois ; avant cela probablement.

À toi toute mon amitié, chère Lucie,

Sincèrement,
ROXANE.

P. S. — Je ne m’étais pas trompée ; le… papier est bien ici, entre les mains de M. C. Il s’agit de m’en emparer maintenant. Prie bien fort et fais prier Rita, pour que je réussisse dans mon entreprise, n’est-ce pas ?

R. M.

Le lendemain, les deux lettres étaient confiées au père Noé. Deux jours plus tard, la réponse de Lucie arrivait à Mme Dussol et celle-ci quittait, au bout de trois jours, les Peupliers pour les Barrières-de-Péage. Seulement ni Yseult, ni Champvert ne connaissaient sa destination ; seuls étaient dans le secret Roxane et aussi le Docteur Philipbert, qui avait conduit lui-même Mme Dussol en voiture.


CHAPITRE V

ON FAIT LA CONNAISSANCE DE DÉCART


Durant la semaine qui suivit le départ de Mme Dussol, rien d’extraordinaire ne se passa aux Peupliers. Roxane cherchait toujours l’occasion de s’emparer du testament ; mais ce n’était pas chose facile, et la fiancée de Hugues commençait à se désespérer un peu. Le coffre-fort de Champvert était toujours fermé ; combien de fois la jeune fille avait essayé de l’ouvrir ! C’était une assez singulière combinaison que celle de ce coffre-fort : au lieu de chiffres, c’étaient des lettres qui en formaient la clef. Évidemment, à moins de connaître le mot qui en faisait fonctionner la serrure, il n’y avait rien à faire. Or, une chose était certaine : le mot ou le nom qui ouvrait le coffre-fort était court, trois lettres seulement… mais il s’agissait de savoir ce mot ou ce nom.

On était au vendredi soir. Yseult, qui continuait à bouder son mari (et pour cause) était allée dîner et passer la veillée chez une de ses amies, Mme Faure, qui demeurait à deux milles des Peupliers. Champvert (Roxane s’en était assurée) s’était retiré dans la bibliothèque. Les domestiques étaient occupés, chacun à sa manière.

Roxane entra dans l’étude. Elle allait faire un dessin aussi exact que possible de la serrure du coffre-fort ; ce dessin, elle le montrerait au Docteur Philibert, et ensemble, ils essayeraient d’en découvrir le secret.

La jeune fille, à genoux auprès du coffre-fort, était occupée à comparer le dessin qu’elle venait de tracer avec la serrure elle-même, quand elle entendit des pas s’approchant de l’étude : c’était Champvert ! Elle n’eut que juste le temps d’entrer dans le passage-armoire, dont elle ferma la porte à demi, et de s’y cacher, quand le notaire entra. Il se dirigea du côté de son pupitre et se mit à examiner des papiers, puis il s’approcha du coffre-fort. « Clik ! Clik ! Clik ! » et avec un bruit sourd le coffre-fort s’ouvrit. Trois lettres… Oui, de trois lettres seulement se composait le mot ou le nom que Roxane eut donné dix ans de sa vie pour savoir.

À ce moment, résonna la cloche de la porte d’entrée, et au bout de quelques instants, Justin, le portier des Peupliers, entra dans l’étude et dit à Champvert que quelqu’un venait d’arriver et qu’il demandait instamment à parler au notaire.

— Un client, je suppose, dit Champvert ; faites entrer.

Le domestique se retira et presqu’aussitôt, un être assez bizarre se présenta à la porte de l’étude. Un Juif, petit de taille, aux yeux bruns, aux pommettes saillantes, et dont le bas du visage disparaissait sous une barbe noire. Son aspect n’avait rien de bien effrayant ; mais Champvert, en apercevant son visiteur, devint blanc comme la