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tu ne descends pas dîner, Yseult ? demanda-t-il.

— Non, répondit Yseult.

— Tu dis non, mais moi, je dis oui ! cria-t-il. Lève-toi à l’instant !

— Je suis malade, dit Mme Champvert.

— Ce n’est pas vrai ! vociféra son mari, lève-toi, entends-tu, Yseult ! Ne m’oblige pas de te lever de force.

Yseult garda le silence. Sans doute, ce silence irrita davantage l’irascible Champvert, car il se mit à injurier sa femme. Les injures les plus viles pleuvaient littéralement sur l’impassible Yseult.

Mme Dussol, à genoux près du lit de sa fille, sanglotait. Oh ! combien Roxane eut voulu pouvoir se dépouiller de son déguisement, pour quelques instants, afin d’essayer de consoler cette pauvre mère désolée !

Soudain, le notaire aperçut la jeune fille.

— Que faites-vous ici, vous ? demanda-t-il.

— Je suis venue apporter à Mme Champvert son dîner, répondit Roxane.

— Sortez d’ici ! hurla Champvert. Si Mme Champvert est trop malade pour prendre sa place à table, elle est trop malade pour manger.

— Bien, Monsieur ! répondit Roxane, qui prit le plateau et se dirigea vers la porte.

— Allez ! dit le notaire. Et dites à Angélique…

— Pardon, Monsieur, interrompit Roxane ; mon service se termine à sept heures précises et je n’ai d’ordre à recevoir de qui que ce soit, après cette heure.

Fuyant devant le courroux de Champvert, elle se dirigea hâtivement vers sa chambre à coucher. Un quart d’heure plus tard, elle prenait, encore une fois, la direction de la chambre d’Yseult, munie du plateau. À l’une des extrémités du corridor principal, elle rencontra Mme Dussol. Pauvre femme ! Ses yeux rougis attestaient qu’elle avait beaucoup pleuré.

Mme Louvier ! s’écria-t-elle, en apercevant la jeune fille. Où allez-vous donc ?

— Je vais apporter le dîner à Mme Champvert, répondit Roxane.

Mme Dussol sourit tristement et elle murmura :

— Merci, Mme Louvier !

Si Mme Dussol avait pleuré, il était de toute évidence que sa fille n’avait pas versé une larme. Quand Roxane arriva dans la chambre de Mme Champvert, celle-ci était encore couchée ; très pâle, immobile, on l’eut prise pour une statue de marbre, n’eussent été ses yeux, dans lesquels brillaient la folie d’une résolution désespérée…

— Je suis venue vous apporter votre dîner, Mme Champvert, dit Roxane.

Ainsi que l’avait fait Mme Dussol, Yseult sourit, puis murmura : « merci ».

Roxane ayant déposé le plateau sur le guéridon, se dirigea vers la porte de la chambre, qu’elle ferma à clef.

Si la jeune femme ne mangea pas beaucoup, elle sembla aimer ce que Roxane lui avait préparé ; elle but aussi un verre de vin, ce qui ramena un peu de rouge sur ses lèvres !

Au moment où Roxane se disposait à retourner dans sa chambre, elle entendit, dans le corridor, le pas de Champvert, et aussitôt, celui-ci frappa à la porte.

— Yseult ! appela-t-il.

Yseult ne répondit pas.

— Yseult ! appela-t-il de nouveau.

Même mutisme de la part de la jeune femme.

— Répondez, je vous prie ! implora Roxane. Mais, l’entêtée Yseult demeura muette.

— Yseult ! cria, pour la troisième fois le notaire.

Ne recevant pas de réponse, il donna un coup de pied dans la porte de chambre de sa femme, après quoi, il entra dans son étude, en fermant la porte avec une telle force que toute la maison en fut ébranlée.

Roxane regarda Yseult ; le visage de celle-ci était tout à fait impassible. Dans ses yeux seulement, régnait toujours comme une résolution désespérée.


CHAPITRE IV

DEUX LETTRES


Le lendemain soir, Roxane se disposait à sortir, afin de respirer un peu l’air du dehors. Elle était à se coiffer, lorsqu’elle entendit frapper à la porte de sa chambre. Allant ouvrir, elle se trouva en face de Mme Dussol.

— Vous alliez sortir, Mme Louvier ? demanda la mère d’Yseult. Je ne vous retiendrai pas longtemps… Je suis venue vous demander de me rendre un service… un grand service.

— Si je le puis, Madame, répondit la fiancée de Hugues, soyez assurée que je me ferai un grand plaisir de vous servir.

— Il s’agit d’une lettre, dit Mme Dussol, en hésitant un peu. Vous le savez, le courrier est déposé dans l’étude de M. Champvert chaque jour… Or, cette lettre que je viens d’écrire, je désire que personne n’en ait connaissance, et c’est pourquoi je venais vous demander si vous vous en chargeriez et la remettriez au facteur, demain, quand il viendra ?

— Mais, avec plaisir ! répondit Roxane. Vous pouvez me confier votre missive, Mme Dussol ; je me charge d’arranger les choses à votre satisfaction.

— Merci ! Oh ! merci ! s’écria Mme Dussol. Je ne sais pourquoi, Mme Louvier, continua-t-elle, mais vous m’inspirez confiance… Voici la lettre, ajouta-t-elle, en retirant de sa poche de robe une enveloppe cachetée.

Roxane, en recevant la lettre, faillit crier, tant fut grande sa surprise ; c’est que, sur l’enveloppe, elle lut l’adresse suivante :

« Mademoiselle Monthy

Barrières-de-Péage
Saskatchewan ».

— Voyez-vous, reprit Mme Dussol, la vie n’est plus tenable ici, et au lieu d’aider à ma fille, il semble que je ne fais qu’irriter mon gendre davantage, chaque jour… Cette lettre est adressée à Mlle Monthy, une bonne et charmante jeune fille, la fiancée de