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— Misérable ! cria-t-elle, en lui donnant un soufflet.

En un clin d’œil, Champvert s’empara des poignets d’Yseult et il les serra à les briser, puis, usant de toute sa force, il parvint à lui faire ployer les genoux.

— Demande-moi pardon, Yseult, dit-il, d’une voix assez calme, mais sous laquelle on devinait une de ces « colères blanches », qui sont réellement les pires. Demande-moi pardon, entends-tu !

Yseult ne proféra pas un mot ; les yeux démesurément ouverts, elle regardait son mari, sans rien dire.

Alors, Champvert saisit sa femme à la gorge. En vain essayait-elle de se dégager, de desserrer les doigts qui l’étranglaient ; le notaire ne faisait que resserrer son étreinte. Allait-il étrangler sa femme, là, devant les yeux de Roxane ?

Roxane leva son revolver ; elle visa l’épaule de Champvert et se tint prête à tirer.

Qu’importait le danger qu’elle courrait ensuite ; il fallait empêcher ce meurtre !

Mais voilà qu’Yseult, puisqu’elle était incapable d’articuler même une seule syllabe, leva la main, et Champvert desserra ses doigts.

— Pardon ! balbutia-t-elle.

— Pauvre insensée, lui dit son mari, crois-tu vraiment pouvoir me dominer moi, moi Champvert ? Va, maintenant ! Sors d’ici !

Ce disant, il saisit sa femme par les épaules et la poussa si rudement qu’elle tomba, encore une fois, sur les genoux. Aussitôt, elle se releva et se dirigea vers la porte ouvrant sur le corridor. Au moment de quitter l’étude, elle se tourna du côté de son mari ; sur son visage se voyait l’expression d’une implacable haine.

— Je me vengerai, misérable lâche ! dit-elle, puis elle se hâte de sortir.

Roxane, sûre maintenant qu’Yseult ne courait plus de danger, se dirigea, à pas de loup vers la fenêtre, et se suspendant par les mains, elle sauta légèrement sur la terrasse.

Ainsi, elle avait eu raison de soupçonner Champvert d’avoir volé le dernier testament de M. de Vilnoble ?… Comment s’emparer de ce document ?… Aucun plan ne se présentait à sa pensée ; mais elle y réussirait, le ciel aidant.


CHAPITRE III

L’ENTÊTEMENT D’YSEULT


Le lendemain matin, quand Roxane vint prendre les ordres de Mme Champvert, celle-ci, contre son habitude, était couchée. Elle était très pâle et ses yeux étaient cernés de bistre, de plus, les broderies et dentelles de sa robe de nuit ne cachaient qu’imparfaitement les marques bleues qu’avaient laissées, autour de ses poignets et de son cou, les doigts de Champvert. Pauvre Yseult ! Elle était coupable, sans doute, d’avoir comploté avec le notaire pour voler le dernier testament de M. de Vilnoble ; mais Roxane ne put faire autrement que de la plaindre, à cause du sinistre voyou qu’elle avait pour mari.

Quand arriva l’heure du déjeuner, Yseult ne parut pas dans la salle à manger, ce qui ne plut guère à Champvert.

— Où est Yseult ? demanda-t-il à Mme Dussol.

— Yseult est malade, répondit, d’une voix triste Mme Dussol.

Champvert posa le doigt sur un timbre, qui se trouvait à sa portée, et Roxane entra dans la salle à manger.

— Allez dire à Mme Champvert que nous l’attendons pour le déjeuner, lui dit le notaire.

— Yseult est malade, répéta Mme Dussol.

Champvert frappa le plancher du pied.

— Faites ce que je vous ai dit de faire ! tonna-t-il, en s’adressant à Roxane. Entendez-vous !

Roxane entra dans la chambre à coucher d’Yseult, après avoir frappé à la porte.

Mme Champvert, dit-elle, M. Champvert m’envoie vous dire qu’il vous attend pour le déjeuner.

— Je suis malade, répondit Yseult.

— J’ai préparé un plateau pour vous, dit Roxane ; je vais vous l’apporter.

Entrant ensuite dans la salle à manger, elle dit au notaire :

Mme Champvert est malade. Puis elle sortit et alla chercher le plateau qu’elle porta à Yseult. Mais à peine la jeune femme avait-elle bu une gorgée de café que Champvert entra dans la chambre, à son tour. Il entra en coup de vent, suivi de Mme Dussol.

— Tu es malade, paraît-il ? fit-il, durement. Arrange-toi pour être guérie à temps afin de pouvoir dîner avec nous, hein, Yseult ?

Yseult ne proféra pas un mot.

— As-tu entendu, Yseult ? cria-t-il. Tu dîneras avec nous ; est-ce compris ?

— Je dînerai avec vous… si je le puis. Si je ne me sens pas disposée à me rendre à la salle à manger, Mme Louvier m’apportera mon plateau ici et je dînerai dans ma chambre.

— Nous verrons bien ! s’écria Champvert.

— Oui, nous verrons bien ! répéta Yseult, d’un ton tellement moqueur que Roxane craignit qu’il y eût une autre scène.

Pourtant, le notaire, sans répondre, quitta la chambre de sa femme, fermant la porte avec une telle force que les fenêtres, et même les meubles en furent secoués.

À l’heure du dîner, Yseult refusa de se rendre à sa salle à manger ; elle garda le lit, se disant trop malade pour se lever. Mme Dussol, prévoyant une autre scène, vint demander en grâce à sa fille de faire un effort pour plaire à son mari.

— Jette un kimono par-dessus ta robe de nuit, Yseult, implora-t-elle, et descends dans la salle à manger, faire acte de présence, au moins !

Mais Yseult, avec son entêtement ordinaire, refusa de suivre les conseils de sa mère.

Roxane, ainsi qu’elle l’avait fait pour le repas précédent, entra dans la chambre de la jeune femme, avec un plateau, sur lequel était le dîner d’Yseult, et, presque sur ses talons, arriva Champvert.

— Que signifie ? s’écria-t-il. Est-ce que