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La jeune fille se mit à la recherche d’un livre. Montée sur un petit escabeau, elle examinait les volumes à portée de sa main, quand une voix, tout près d’elle, dit :

— Puis-je vous aider, Mlle Yseult ?

Elle faillit tomber, tant sa surprise fut grande ; elle s’était crue seule dans la bibliothèque.

— Je vous remercie, M. Champvert, répondit-elle ; je me passerai très bien de votre aide.

Saisissant un livre au hasard, Yseult descendit de l’escabeau, et elle se disposait à quitter la bibliothèque, quand le notaire Champvert lui posa la main sur le bras, en disant :

— Un instant je vous prie, Mlle Yseult ! J’aurais quelque chose à vous dire… quelque chose de la plus grande importance… Si vous voulez bien me prêter attention…

— S’il s’agit de renouveler la conversation que nous avons eue ensemble tout récemment… commença Yseult.

Mlle Yseult, demanda le notaire, voulez-vous consentir à devenir ma femme ?

— Encore ! s’écria Yseult, avec un regard de profond mépris à l’adresse du jeune homme.

— Eh ! oui, encore ! Je renouvelle ma demande, Mlle Dussol, avec l’espoir qu’elle sera agréée favorablement, cette fois… Voulez-vous m’accepter pour mari ?

— Jamais ! s’exclama la jeune fille. Jamais, entendez-vous !… Mais, mon pauvre M. Champvert, je vous hais, je crois !… Non ; je vous méprise !

Le notaire pâlit sous ces paroles, qui lui produisirent l’effet d’un soufflet en pleine figure ; mais bientôt, un sourire crispa ses lèvres ; même, il haussa les épaules.

— Jamais, dites-vous, Mlle Dussol ?… Il ne faut jurer de rien… Quand je vous aurai dit — et prouvé — que je tiens dans mes mains votre destinée, votre avenir, votre… fortune…

— Ma fortune fit Yseult. Ah ! bah ! ajouta-t-elle aussitôt, avec un sourire méprisant, je sais bien ce que vous voulez dire : parce que vous avez en votre possession le testament de mon oncle de Vilnoble, fait en ma faveur, vous croyez tenir ma fortune entre vos mains… Vous proposez-vous, par hasard, de le détruire ce testament — vous en êtes bien capable, je crois, pour essayer de vous venger de moi ! — N’oubliez pas, cependant, M. Champvert, que la copie de ce testament est dans le coffre-fort de mon oncle, et seul, Adrien, le domestique de confiance de M. de Vilnoble, en connaît la combinaison. Et Yseult se mit à rire.

Mlle Yseult, dit le notaire, en souriant, je suis heureux de constater que vous ne souffrez pas d’insomnie… Vous dormiez si profondément, la nuit dernière, que vous n’avez pas eu connaissance des allées et venues, dans cette maison.

— Que voulez-vous dire ?…

— Je veux dire que, tandis que vous dormiez paisiblement, sûre que vous étiez d’être l’héritière en perspective de votre oncle, il se passait des choses étranges, aux Peupliers, des choses vous concernant. Bref, j’ai été appelé ici, en toute hâte, au beau milieu de la nuit : votre oncle désirait faire un nouveau testament, un testament annulant, nécessairement, celui qui avait été fait en votre faveur, il y a un mois.

— Ce n’est pas vrai ! cria Yseult, avec plus de conviction que d’élégance.

— Pardon, ce n’est que trop vrai ! Une jeune fille du nom de Monthy, vint, la nuit dernière, malgré la tempête, apporter à M. de Vilnoble des nouvelles de son fils Hugues.

— Hugues !

— Mais, oui, Hugues ! En accourant aux Peupliers, pour recueillir le dernier soupir de son père, Hugues de Vilnoble avait été victime d’un accident. Mais cette demoiselle Monthy, chez qui Hugues avait été transporté, s’est offerte pour venir aux Peupliers apporter à M. de Vilnoble des nouvelles de son fils.

— Mon Dieu ! s’exclama Yseult, en portant la main à son cœur.

— Et voilà pourquoi, reprit le notaire, votre oncle, pris de remords, a voulu réparer l’injustice « la grande injustice » disait-il faite à son fils et qu’il me fit venir ici. M. de Vilnoble a donc fait un nouveau testament le seul valable… en faveur de Hugues, cette fois.

— Non ! Non ! pleura Yseult. C’est impossible !

— L’impossible arrive plus souvent qu’on serait porté à le croire.

— La preuve ! La preuve de ce que vous venez de me dire, M. Champvert !

— La preuve… je l’ai sur moi, Mlle Dussol. Votre oncle, qui s’est toujours défié de moi a remis son dernier testament à Adrien ; mais je suis parvenu à m’en emparer. Le voilà ! Lisez, et vous verrez si je vous ai trompée.

Ce disant, le notaire retira de l’une de ses poches le dernier testament de M. de Vilnoble et il l’étendit devant Yseult, ayant soin cependant de tenir la jeune fille à une distance respectueuse ; il n’allait pas risquer qu’elle lui volât le testament et qu’elle le détruisît.

La jeune fille, à mesure qu’elle lisait le document placé devant elle, pâlissait à vue d’œil. Ses yeux exprimaient un grand étonnement et une affreuse déception, une respiration haletante s’échappaient de ses lèvres minces.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! sanglota-t-elle, quand elle en eut terminé la lecture.

Elle se laissa tomber sur un fauteuil et le notaire craignit qu’elle eût une crise de nerfs. Sur un guéridon était une carafe contenant du vin. Champvert versa un peu de vin dans un verre et il vint l’offrir à la jeune fille.

— Remettez-vous, je vous prie, Mlle Dussol ! implora-t-il. Il aimait véritablement cette jeune fille, quoiqu’il convoitait aussi la fortune qui lui reviendrait un jour… bientôt… si ça dépendait de lui.

Déshéritée ! pleurait Yseult.

— Bien des jeunes filles, à votre place, se considéreraient chanceuses d’avoir un revenu tel que votre cousin Hugues devra vous payer, et aussi de la dot de $10 000, qui de-