Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
LE BRACELET DE FER

Chapitre III

LA « CABANE DU MORT »


À trente milles à peu près du Cap Hurd, était un petit établissement, dont la première maison, sur les confins des dunes, appartenait au Docteur Harry Shade.

Le Docteur Shade habitait un confortable et joli bungalow, avec sa femme Mildred et deux domestiques : Maggie, ménagère et bonne à tout faire, et James, jardinier, canotier et factotum.

Lorsqu’il avait commencé à pratiquer sa profession, le Docteur Shade s’était établi dans une ville, où il s’était vite fait une clientèle nombreuse et fort payante, et, sans doute, il y aurait passé toute sa vie, si sa femme n’était tombée dans une sorte de débilité. Mildred avait contracté le rhume, un soir, alors qu’elle était sortie, trop légèrement vêtue, et la toux qui s’ensuivit semblait ne pas vouloir se passer. Le médecin avait essayé de tous les remèdes et traitements imaginables, mais vainement. Son inquiétude était grande, car il adorait sa frêle et délicate compagne.

Or, un jour, qu’il dînait à un restaurant, il entendit chuchoter près de lui :

— C’est le Docteur Shade, disait quelqu’un.

— Ah ! oui ; ce médecin de talent dont la jeune femme est poitrinaire, hein ?

Le Docteur Shade devint pâle comme la mort. Comment ! On disait, dans la ville, que sa Mildred était poitrinaire !… Ce rhume… Cette toux… Mais, ce n’était rien, rien !… Il est vrai que, malgré tous les remèdes qu’il lui avait fait prendre, tous les soins qu’il lui prodiguait, elle continuait à tousser… une petite toux sèche, qui devait lui déchirer la poitrine…

— Je sais ce que je vais faire, se dit-il, et je le ferai, sans perdre un instant !

Un quart d’heure plus tard, il frappait à la porte du bureau de l’un de ses confrères, médecin déjà presque éminent, quoique tout jeune encore.

— Je suis venu vous voir, Mills, dit le Dr Shade, et je demande que vous répondiez franchement à la question que je vais vous poser… Me le promettez-vous, mon ami ?

— Si je le puis, répondit le Docteur Mills. Qu’est-ce, Shade ?

— Mills, demanda, d’une voix tremblante le Docteur Shade, avez-vous entendu dire déjà que Mildred était une femme malade ? Le mot : « poitrinaire » a-t-il été prononcé, en votre présence, alors qu’on parlait d’elle ?

— Mon Dieu, Shade… commença le Docteur Mills.

— La vérité, je vous prie, mon ami !

— Eh ! bien, oui !… Mme Shade est délicate, voyez-vous… et je vous conseillerais de l’emmener à la campagne, non pour un temps, mais pour toujours… Il faut à votre femme l’air pur des champs… sans quoi…

— Merci, Mills ! fit le Docteur Shade. Je vais suivre votre conseil, sans hésiter un seul instant. Merci !

Voilà comment il se faisait que le Docteur Harry Shade, qui avait été en passe de se faire une grande réputation à la ville, s’en vint, certain jour, s’installer sur les confins des dunes. Jamais il ne le regretta pourtant, car Mildred ne toussait plus. Elle serait toujours délicate, sans doute, mais sa santé ne laissait nullement à désirer maintenant.

Trois mois avant les évènements racontés dans les précédents chapitres, Mildred avait hérité d’une de ses tantes, sœur de sa mère. Tous comptes faits, elle aurait, dorénavant, un revenu de six cents dollars par année ; c’était presque une fortune, en ces régions isolées.

— Harry, avait-elle dit à son mari, un soir, il y a, à la banque, et disponibles tout de suite, plus de sept cents dollars… Or, je sais ce que nous allons faire de cet argent.

— Moi aussi, je le sais ; nous allons acheter un nouvel ameublement de salle à manger d’abord, n’est-ce pas ?

— Mais, non, Harry ! Ça ne presse aucunement l’ameublement de salle à manger… Ce n’est pas cela !

— Qu’est-ce alors, ma chérie ? Que désires-tu faire de ces sept cents dollars ? Les placer avantageusement ? Ce ne serait que sage.

— Pas du tout ! Pas du tout !… Nous allons… Devine !…

— Hélas, je ne suis pas bon devineur !

— Eh ! bien, nous ferons construire un hôpital ; voilà !

— Un hôpital !

— Mais, oui !… N’est-ce pas ton rêve d’avoir un hôpital, mon cher mari ? Faisons-en construire un !

Ce soir-là, les deux époux tracèrent des