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LE BRACELET DE FER

Ça semble si facile de glisser les menottes aux poignets d’un prisonnier et de les ôter ensuite, s’il y a lieu. Nous avons vu faire la chose mainte et mainte fois, au théâtre, par exemple. Mais, essayons ! Nous nous apercevrons vite que nous ne pouvons pas en venir à bout. C’est un simple ressort qui ferme et ouvre ces menottes, mais, ce ressort, il faut le trouver : il faut connaître surtout le moyen de le faire fonctionner.

Paul, voyant que ses essais demeuraient inutiles, se mit à examiner la chaîne reliant les deux bracelets. Elle paraissait solide… Mais, attendez !… Cette maille, tout près du bracelet entourant son propre bras… Oui, elle était faible, très faible même… Il se rappela soudain que, l’autre soir, le policier avait froncé les sourcils, au moment de passer les bracelets aux bras de son prisonnier… Ce froncement de sourcils, Paul en comprenait maintenant la signification : Peter Flax avait été inquiet, à cause de cette maille faible.

Jetant les yeux autour de lui, Paul chercha une pierre aigüe, pouvant lui servir de lime : il allait limer cette maille faible, et il commencerait sans retard ! Mais, hélas ! il ne vit que du sable fin ; pas la moindre pierre, aussi loin que son regard pouvait porter !

Soudain, il retira un canif de sa poche ; une de ses lames c’était une lime à ongles. Certes, elle était faible cette lime ; mais en prenant des précautions, peut-être ferait-elle l’affaire. Il allait toujours essayer ! Toute la nuit, et tout le temps qu’il le faudrait, il travaillerait sans relâche ! Allons !

Il se mit à l’œuvre, et ainsi qu’il se l’était promis, il travailla toute la nuit, tout l’avant-midi du lendemain et une partie de l’après-midi, ne s’arrêtant que pour prendre quelques bouchées de nourriture, et aussi pour appliquer sur le front du malade des compresses d’eau froide.

Enfin, vers les cinq heures du soir, la lime arriva dans le vide… La maille avait cédé ; il était libre !

En un clin d’œil il fut debout et il se mit à exécuter une sorte de gymnastique avec ses deux bras. Quelle volupté que celle de la liberté !… Les dunes étaient là ; il n’aurait qu’à s’y perdre, et personne ne le retrouverait jamais !

Libre ! Libre !

D’un bond, il s’élança vers le désert… Fuir ! Il allait fuir immédiatement ! Fuir ?… Et abandonner le policier, qui mourrait peut-être, dans d’horribles souffrances, s’il n’était pas secouru ?… Mais… ce serait commettre un crime, un meurtre !…

Il est vrai que si Peter Flax reprenait connaissance, il accuserait Paul hautement, et essayerait de le reprendre, pour le livrer ensuite à la justice… Qu’importe ! Sa conscience lui ordonnait de secourir son semblable. Quant à se laisser reprendre, jamais, non, jamais !

L’important, pour le moment, c’était de se rendre à l’établissement, éloigné de cinq milles à peu près, dès ce soir, et d’en ramener un médecin.

Avant de partir, cependant, Paul avait quelque chose à faire, car il s’agissait de se protéger lui-même et d’arranger les choses pour assurer sa liberté. Ouvrant le havre-sac de Peter Flax, il y prit un rasoir, une savonnette, puis il procéda à se faire la barbe, ne laissant que sa moustache. Le rasoir coupait peu, mais c’était bien ainsi ; il aurait moins l’air de s’être fait la barbe le jour même.

Ensuite, avec toutes les précautions du monde, il enleva l’uniforme du policier et son propre habit, échangeant l’un pour l’autre, et bientôt, Paul Fairmount le prisonnier avait pris la personnalité de Peter Flax le policier.

Un coup d’œil dans une petite glace satisfit Paul complètement : même l’œil le mieux exercé n’eut pu percer son déguisement, et, plus tard, si on parlait, dans le pays, du prisonnier trouvé, malade, peut-être mourant, dans la cabane de pêcheur, on le décrirait comme suit : « Homme de six pieds. Yeux bruns. Cheveux bruns. Barbe brune. Âgé de vingt-deux ans », et personne n’hésiterait à dire que cette description se rapportait à Paul Fairmount, arrêté, dans un wigwam, certain jour, pour le meurtre d’un Sauvage.

Paul, ayant mis une nouvelle compresse d’eau froide sur le front du policier, s’élança sur les dunes, en route pour l’établissement, éloigné de cinq milles seulement, où il était certain de trouver un médecin.