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LE BRACELET DE FER

l’air entrait librement sur le pont, tout en en excluant les insectes et les oiseaux. À part des bancs fixes, recouverts de velours écarlate, le pont était meublé de fauteuils confortables, d’une table et aussi d’un splendide pupitre, dans les casiers duquel Nilka trouva du papier, des cahiers, des plumes, de l’encre, des crayons etc., etc. Un riche tapis de couleur écarlate recouvrait le plancher.

Dans un coin à part, cloisonné en vitre par Joël, Alexandre Lhorians aperçut sa chère horloge de cathédrale. En retrouvant son… jouet, l’horloger eut un soupir de soulagement.

— Je serai bien là pour travailler, dit-il. Tu as bien fait les choses, Joël, ajouta-t-il.

— Merci, M. Lhorians, répondit le domestique.

— Nous allons être si, si heureux ici, père ! fit Nilka. Pensez-y ! Passer toute la chaude saison en plein lac, au lieu d’être dans une maison de ville, à périr de chaleur !… Il est vrai que l’hiver… Mais, nous aviserons !

Lorsqu’elle eut inspecté le bateau, du haut en bas, Nilka se déclara satisfaite, enchantée même ; L’épave c’était presque féérique.

— Et moi qui me sentais toute attristée, à l’idée de venir demeurer sur ce bateau ! pensa-t-elle. Sans doute, c’est à cause du nom qu’on lui a donné… L’épave… nom étrange, tout de même, pour un bateau ; moi, je préférerais le nommer « Le Palais Flottant »… Il doit être, oh ! énormément riche M. Fiermont… Ne le dit-on pas millionnaire ?… Je ne sais si sa tante, Mlle Fiermont, a appris que c’est père qui a obtenu la garde de L’épave ?… Si je l’avais osé, je serais allée lui rendre visite, avant de partir de Québec ; mais je n’ai pu m’y décider… et je ne sais pourquoi, vraiment… Mlle Fiermont a été si bonne pour moi, lors de notre séjour au « château » !… Oh ! le cher « château » !… La chère bonne « tante Berthe » !… Les reverrai-je jamais ?…

Les pensées de Nilka furent interrompues soudain par un aboiement de Carlo ; le chien, parfaitement séché maintenant, demandait la permission de rejoindre ses maîtres.

Nilka alla ouvrir la porte à Carlo, après quoi elle se mit à préparer le repas du midi, aidée par Joël.

La vie sur L’épave commençait pour les Lhorians.

Chapitre III

LA VIE SUR L’ÉPAVE


Vraiment, Paul Fiermont avait accompli des merveilles et en bien peu de temps, car il avait fait de L’épave, rude bateau de cabotage, un véritable palais flottant.

Aussitôt qu’il avait été certain qu’Alexandre Lhorians acceptait la position de gardien de L’épave, Paul, accompagné d’une armée d’ouvriers, de peintres et de décorateurs, était parti pour Roberval, en route pour l’endroit où était ancré le bateau, et vite, sans perdre une heure, on s’était mis à l’œuvre. Les ouvriers, les peintres et les décorateurs travaillaient nuit et jour presque, sachant bien que la paye serait bonne, et qu’il y aurait un joli bonus à recueillir, si tout était prêt à temps, c’est-à-dire dix jours avant l’arrivée des Lhorians.

Quand tout fut terminé enfin, Paul se déclara parfaitement satisfait : L’épave était devenue un nid coquet dans lequel L’Oiseau Bleu trouverait tout le confort désirable.

Lorsque les employés, grassement payés, étaient retournés à la ville de Québec, Paul Fiermont s’était retiré chez les Brisant, où il passa deux jours à se reposer. Lorsqu’il partit, il avait été décidé que les époux Brisant donneraient l’hospitalité aux Lhorians et à leur domestique, lors de leur arrivée à Roberval ; de plus, le jeune homme emportait à Québec l’assurance que ces braves gens (les Brisant) veilleraient sur Nilka, qu’ils s’occuperaient d’elle tout particulièrement ; qu’ils seraient ses amis enfin.

Ni Nilka, ni Joël (nous ne parlons pas d’Alexandre Lhorians, qui se fut trouvé à l’aise sur un radeau, du moment qu’on ne l’aurait pas séparé de sa chère horloge de cathédrale), ni Nilka, ni Joël donc n’avaient eu aucun soupçon en apercevant le luxe de L’épave. Tous deux se disaient :

M. Fiermont est millionnaire ; conséquemment, il possède les moyens de faire de L’épave un palais, si bon lui semble. De plus, le bateau est à vendre, et son propriétaire a voulu le rendre le plus attrayant possible, afin de trouver plus facilement acquéreur.

La vie s’écoulait régulière (trop régulière peut-être) mais agréable, sur L’épave. L’avant-midi, Nilka était occupée aux soins du ménage, à la préparation du diner, etc. L’après-midi, elle reprisait son linge, celui de son père, de Joël, ou bien elle travaillait à quelque ouvrage de fantaisie, quand elle n’allait pas faire une promenade en chaloupe avec Joël, ne s’éloignant jamais jusqu’à perdre L’épave de vue cependant. Le soir, après le souper, on se réunissait sur l’avant-pont et l’on causait, puis, l’obscurité venue, et après que Joël eut allumé les fanaux aux verres lenticulaires à l’avant et à l’arrière du bateau, on se retirait dans le salon ; Nilka faisait un peu de musique, chantait quelques romances, ou bien elle faisait la lecture à haute voix.

Depuis dix jours qu’on demeurait sur L’épave, le temps s’était toujours maintenu au beau fixe ; mais, le dixième jour, à l’heure du midi, il se mit à pleuvoir, et alors Nilka se dit que ce n’était pas gai sur le bateau quand le temps était pluvieux. La pluie, c’est déprimant partout, « sur terre comme sur mer », à la ville, à la campagne ; nous le répétons, partout. Sur une rivière ou sur un lac, c’est infiniment triste. Dans les eaux du lac St-Jean se reflétait le firmament chargé de nuages… Pas un brin d’herbe, pas un arbre, pas un rocher, pas une motte de terre sur lequel l’œil pouvait se poser… Des nuages, des nuages partout, au-dessus de sa tête, à ses pieds ; seules, les gouttelettes de pluie tombant du ciel, troublaient l’uniformité !…

Des larmes vinrent aux yeux de la jeune fille ; en fin de compte, ils étaient bien seuls, bien abandonnés, elle, son père, et Joël, sur L’épave ! Oh ! pour voir entendre tout à coup l’aboiement d’un chien, autre que Carlo, ou le