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LE BRACELET DE FER

hier ! Tenez, le soleil est brûlant, n’est-ce pas ? Or, au moment où je vous parle, il me passe de tels frissons dans le dos ! Mais, ciel ! que j’ai soif ! Y a-t-il encore de l’eau dans le bidon ?

— Il en reste encore un peu. Si vous voulez attendre, cependant, le thé sera infusé dans quelques instants maintenant, répondit Paul.

— Je ne puis pas attendre le thé. On dirait que j’ai du feu dans le gosier ! Et saisissant le bidon, le policier en but le contenu.

Au déjeuner, Peter Flax ne mangea que quelques bouchées, mais, ainsi qu’il l’avait fait la veille, il but une grande quantité de thé.

On partit, d’un bon pas. Bientôt, pourtant, le policier ralentit son allure.

— De quel train vous allez, Fairmount ! cria-t-il.

Paul jeta les yeux sur son compagnon et il s’aperçut qu’il avait l’air malade. Non seulement ses yeux étaient cernés de bistre, ses lèvres blanches et les pommettes de ses joues écarlates, mais son regard était quelque peu étrange. Le policier allait-il tomber malade, là, dans les dunes ? Et s’il était abattu, tout à coup, par les fièvres, comment Paul parviendrait-il à le soigner ?

— Arrêtons-nous ici ! dit Peter Flax. Le fait est que je ne puis procéder plus loin, pour le moment. Je me sens faible, et j’ai comme des éblouissements…

— Laissez-moi vous dire que vous buvez trop d’eau, M. Flax, dit Paul. Vous finirez par vous rendre malade. L’eau du lac Huron n’est pas de ces plus buvables ; on prétend qu’elle contient une grande quantité de microbes…

— Que feriez-vous, si je tombais malade ? demanda, en souriant, le policier.

— Ma foi, je n’en sais rien ! N’étant pas libre de mes mouvements, je parviendrais difficilement à vous soigner. Je préfère que vous ne soyez pas malade, croyez-le.

Il était à peine quatre heures de l’après-midi, quand Peter Flax refusa d’aller plus loin. On avait découvert une sorte de cabane en branchages, construite par quelque pêcheur probablement, et il fut décidé qu’on y passerait la nuit.

— Je ne puis faire un pas de plus sur ce sol mouvant, fit le policier. On dirait une mer en furie, ajouta-t-il, en désignant les dunes. Voyez donc ces vagues qui s’avancent vers nous ! Nous finirons par être engloutis !

Paul observa attentivement son compagnon… Que voulait-il dire ? Le sable mouvant ? Une mer en furie ? Des vagues s’avançant vers eux ? Il n’y avait pas un souffle de brise ; conséquemment, le sable des dunes ne s’élevait pas en vagues, comme il arrive parfois, lorsqu’il fait grand vent.

— Prenez garde ! Prenez garde ! s’écria soudain Peter Flax. Cette vague de sable ! Elle va nous engloutir !

Et le malheureux levait les pieds très hauts, afin de franchir des vagues imaginaires, ou bien il se jetait de côté pour les éviter.

Il n’y avait plus à en douter, le policier était sérieusement malade. À peine furent-ils installés dans la cabane qu’il se plaignit du frisson et de la soif. Maintenant, son visage était cramoisi et ses mains étaient tachetées de rouge. Paul lui ayant adressé une question, fut surpris de ne recevoir aucune réponse. Abaissant les yeux, il s’aperçut que Peter Flax s’était endormi d’un sommeil agité, dont il ne parvint pas à le tirer.

Que faire ? Que devenir ? N’étant pas libre de ses mouvements, Paul ne pouvait pas essayer de soulager son compagnon… Cet homme allait-il faire une longue maladie, avoir la fièvre, le délire, puis… mourir ?… Mourir ?… Plus d’un était mort déjà de la fièvre des dunes, et cet homme… Mais ! Si le policier mourait, son prisonnier serait lié à son cadavre, loin de tout secours humain, en plein désert !… Paul Fairmount se verrait-il contraint de se coucher à côté du cadavre du policier, en attendant que la mort vint le réclamer lui-même ?… Il le faudrait bien, puisqu’il ne pourrait traîner le cadavre après lui… et à moins de le traîner… Que faire ? Que faire ?

— Monsieur Flax ! appela-t-il, à plusieurs reprises.

Mais Peter Flax continuait à dormir, d’un sommeil lourd et agité. Oui, cet homme était très malade… il mourrait… et alors !…

Fébrilement, Paul essaya d’ouvrir le bracelet de fer que le policier, quoiqu’il fut si malade déjà, avait, machinalement, passé au bras de son prisonnier, en arrivant dans la cabane. Heureusement, c’était son bras gauche qui était emprisonné !