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LE BRACELET DE FER

prise : le feu avait détruit la maison de l’horloger, ainsi que deux résidences avoisinantes.

Le jeune homme entra chez un épicier, non loin, et demanda des renseignements. Oui, le feu avait détruit trois maisons, il y avait quinze jours… Les Lhorians ?… Non, il ne savait pas ce qu’ils étaient devenus. Tout ce qu’il pouvait dire, c’était que M. Lhorians, pour sauver son horloge de cathédrale, avait risqué sa vie : on avait dû l’arracher de la maison en flammes, après qu’il eut subi de graves brûlures. L’horloger était parvenu à sauver son horloge, mais il avait failli perdre sa vie. Ses yeux, prétendait-on, avaient été tellement affectés, qu’on craignait qu’il en devint complètement aveugle…

— Que c’est triste ce que vous me racontez là ! s’était écrié Paul. Et depuis, que sont devenus M. Lhorians et sa fille, le savez-vous ?

— Je n’en sais rien, absolument rien, Monsieur, avait répondu l’épicier. J’ai eu connaissance d’une chose cependant, c’est qu’on a transporté M. Lhorians à l’hôpital, le soir même de l’incendie. Le lendemain. Mlle Lhorians et Joël ont disparu, sans dire où ils allaient.

Paul s’était rendu à l’hôpital, et là, on lui avait appris que M. Lhorians était reparti, il y avait quatre jours, en compagnie de sa fille et de leur domestique, pour une destination inconnue. M. Lhorians n’avait pas perdu la vue ; seulement, il allait lui rester, de ses brûlures, une grande faiblesse d’yeux, qui l’empêcherait de travailler à son métier dorénavant. Voilà tout ce qu’on put lui apprendre à l’hôpital.

Nilka Lhorians avait donc disparu, sans laisser de traces… et Paul Fiermont était au désespoir !

Mais, pour revenir au moment où notre jeune ami causait avec le Notaire Schrybe, dans le bureau de celui-ci, il allait continuer la conversation commencée, lorsqu’entra, après avoir frappé à la porte, le garçon de bureau.

M. le Notaire, dit-il, il y a là un monsieur et une dame qui désirent vous parler. C’est à propos de l’annonce, je crois.

— Seigneur ! fit le notaire. Encore des curieux, qui vont m’abreuver de questions !

— Pauvre Notaire Schrybe ! Vous avez toutes mes sympathies ! s’écria Paul, d’un ton si comique, que l’homme de loi rit d’un grand cœur.

— C’est bien, Tudor, dit le notaire en s’adressant au garçon de bureau, tu les feras entrer ici, dans cinq minutes.

— Compris, M. le Notaire ! répondit Tudor, en se retirant.

— Au revoir, alors, Notaire, fit Paul, en se dirigeant vers la porte. Je reviendrai demain ; d’ici là, peut-être aurez-vous mis la main sur le gardien idéal.

— Attends ! Attends, Paul, mon garçon ! s’exclama le notaire. Comme ce ne sont pas des clients qui se présentent ; que ce monsieur et cette dame sont venus ici en réponse à ton annonce, pourquoi n’attends-tu pas leur départ, dans la pièce à côté ? De là, tu entendras parfaitement ce qui se dira dans ce bureau.

— Mais… Ne serait-ce pas quelque peu indiscret de ma part, Notaire ? demanda Paul en riant.

— Pas la miette, mon garçon, puisqu’il s’agit de ta propre annonce… D’ailleurs, je tiens à ce que tu constates par toi-même, les difficultés sans nombre au milieu desquelles je me débats, depuis trois jours, ajouta-t-il en souriant.

— C’est parfait, répondit notre jeune ami. Puisqu’il ne s’agit pas d’affaires professionnelles, je suivrai votre conseil. Je vais donc me retirer dans l’autre pièce ; de là, je puis entendre, et même voir, au moyen du petit guichet percé dans le mur, tout ce qui se passera ici. À tout à l’heure !

— À tout à l’heure ! répondit le notaire. Et n’oublie pas que je t’emmène souper avec nous ce soir ; ma sœur t’attend. Elle a même dû confectionner pour ta délectation, de ces petits pains chauds que tu aimes tant.

— Compris, Notaire ! Compris ! fit Paul en riant.

Il quitta le bureau et entra dans une petite pièce servant de bibliothèque au notaire.

Paul venait de fermer la porte de communication entre la bibliothèque et le bureau, lorsqu’il entendit la voix de Tudor annonçant :

— Monsieur et Mademoiselle Lhorians !

Chapitre XIV

LE GARDIEN


Paul Fiermont faillit crier, en entendant Tudor annoncer l’horloger et sa fille ; il s’était si peu attendu à cela !

Nilka !… C’était son père, à celle qu’il aimait qui se présentait, en réponse à l’annonce demandant un gardien pour le bateau ! Oui, Paul le comprenait bien ; Alexandre Lhorians ne pouvait plus travailler à son métier, car ses yeux, affectés par de récentes brûlures seraient désormais trop faibles pour lui permettre de faire le travail si minutieux et si délicat d’horloger. Eh ! bien, il fallait qu’il obtînt la position de gardien du bateau, il le fallait !

Le jeune homme entr’ouvrit le guichet, auquel il avait fait allusion, et il jeta les yeux dans le bureau… Oui, c’était bien Nilka, le gentil Oiseau Bleu, la cantatrice du Café Chantant !… Nilka ! Sa bien-aimée !… Qu’elle était belle, belle !… Mais, qu’elle paraissait triste et préoccupée ! Elle avait perdu de ses jolies couleurs ; ses joues étaient pâles, et ses yeux étaient cernés de bistre…

Quant à l’horloger, pauvre Alexandre Lhorians ! ses yeux étaient cachés sous des lunettes aux verres noirs, et il sembla à celui qui l’observait qu’il avait beaucoup changé et vieilli, depuis quelques semaines.

Mais, allons ! Il fallait se hâter, si le jeune homme voulait faciliter à Alexandre Lhorians la chance d’obtenir la position de gardien ! Paul allait faire l’impossible pour aider au père de Nilka, tout en restant invisible.

À la course, il se dirigea vers une table à écrire, et saisissant une tablette, il y inscrivit quelques lignes, après quoi il se mit à la recherche de Tudor, auquel il confia la tablette en lui recommandant de la remettre immédiatement au notaire. Puis il retourna dans la bibliothèque et s’approcha, autant qu’il put, du mur, afin de ne pas perdre un seul mot de la