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LE BRACELET DE FER

— C’est à propos de cela que je désire vous entretenir, Mlle Lhorians, dit Judith. Oh ! laissez-moi entrer, je vous prie, l’Oiseau Bleu ! ajouta-t-elle, en joignant hypocritement les mains et les tendant vers Nilka. J’ai des milliers d’excuses à vous faire, et aussi, des explications à vous donner ; je veux essayer de me justifier si possible !

— Il n’y a rien au monde qui puisse excuser, expliquer ou justifier votre conduite envers moi, répondit froidement Nilka. D’ailleurs, je suis engagée ce soir ; veuillez donc vous retirer, Mlle Rouvain.

— Laissez-moi entrer ! supplia Judith.

Cette bonne Judith ! Elle était venue là avec l’intention de briser le cœur de la chanteuse du Café Chantant ; elle n’allait pas s’en aller sans accomplir sa… noble mission, n’est-ce pas ?

— Retirez-vous ! répondit Nilka.

— Laissez-moi entrer ! Rien que pour quelques instants, Mlle Lhorians ! insista « la belle Judith ». Il faut que je vous parle ! Il le faut !

— C’est bien, entrez ! fit Nilka, qui ouvrit la porte toute grande et se recula pour laisser passer la visiteuse.

Lorsqu’elles furent installées toutes deux dans le salon, modeste mais coquet, des Lhorians, que Judith se mit à lorgner d’un air méprisant, celle-ci dit aussitôt :

— Je suis venue ici expressément pour vous demander pardon, bien humblement, de ma conduite de l’autre soir, au Café Chantant, Mlle Lhorians.

— J’ai essayé de ne pas vous garder rancune, répondit naïvement Nilka, et elle ne vit pas le sourire amusé de Judith Rouvain, lorsqu’elle fit cette réponse. Mais je trouve difficile de vous pardonner, je l’avoue. Si ce n’eut été de l’intervention de Mlle Delherbe et de M. Laventurier…

M. Laventurier ? questionna Judith.

— Mais, oui, M. Laventurier ! s’écria Nilka. C’est lui qui m’a défendue contre l’accusation de vol que vous aviez lancée contre moi.

— M… Laventurier… répéta Judith. Puis, comprenant soudain, elle dit : ah ! oui… M… Laventurier… C’est lui qui a vidé votre sacoche, en la présence de tous, ce soir-là, n’est-ce pas ?

— Oui, c’est lui.

Un sourire méchant crispa les lèvres de Judith Rouvain.

— Eh ! bien, mon frère Marius ne m’a pas laissé de repos, depuis cette affaire du Café Chantant, dit Judith. Il m’a reproché ma conduite sur tous les tons… Mlle Lhorians, reprit-elle, en souriant, mon frère vous admire beaucoup, vous savez !

Un sourire méprisant erra, un instant sur les lèvres de l’Oiseau Bleu.

— Je n’ai qu’à faire de l’admiration de M. Rouvain, répondit-elle, en haussant légèrement les épaules.

— Comme vous voudrez, Mlle Lhorians ! fit Judith. Mais, pour revenir à l’incident de l’autre soir, vous avez dit, tout à l’heure, que rien ne pourrait l’excuser, l’expliquer, ni le justifier… Vous aviez raison, sans doute… Cependant, peut-être que, vous trouvant dans les mêmes circonstances que moi, vous auriez agi comme je l’ai fait.

— Moi ! s’exclama Nilka. Moi ! agir comme vous l’avez fait ! Jamais ! Rien au monde, rien, ne m’aurait suggéré l’idée d’accuser de vol une personne innocente, Mlle Rouvain ! ajouta-t-elle, d’un ton indigné.

— Qui sait ?… fit Judith.

— Vous dites ? s’écria Nilka.

— Écoutez, l’Oiseau Bleu, écoûtez ! M… Laventurier, celui qui vous a si vaillamment défendue, ce soir-là…

— Eh ! bien ?

— Eh ! bien, ce monsieur est mon fiancé, Mlle Lhorians, et…

— Votre… votre fiancé, dites-vous ? cria Nilka. M. Laventurier votre fiancé, à vous, Mlle Rouvain ?… Oh !… Ce n’est pas vrai !

— Pardon, mais c’est vrai. Mlle l’Oiseau Bleu. Personne ne le sait mieux que moi, je crois, ajouta-t-elle en riant… Nous sommes fiancés, et nous devons nous marier ensemble, le 15 septembre prochain, affirma effrontément Judith Rouvain, sans même rougir, en proférant ce mensonge.

M. Laventurier… Votre fiancé… Je ne le savais pas… balbutia Nilka.

Judith fut tentée de détromper la jeune fille en ce qui concernait le nom de Paul ; cela aurait, en quelque sorte, donné plus de force à son mensonge et eut mis plus de défiance encore dans le cœur de l’Oiseau Bleu. Pour une raison ou pour une autre, elle n’en fit rien cependant, et pendant longtemps encore, Nilka resterait dans son erreur.

— Vous le comprenez sans peine, reprit Judith, j’étais outrée de voir M… Laventurier, mon fiancé, celui que j’épouserai, à l’automne, vous regarder avec admiration, et… je me suis vengée… sur vous ; voilà !

M. Laventurier… Votre fiancé… redisait, sans cesse Nilka, comme si elle n’eut retenu que ces mots du discours de Judith Rouvain. Elle sentait son cœur se briser, la pauvre petite. Lui que j’attendais ce soir… dit-elle, entre haut et bas.

Judith l’entendit et elle répondit :

— Je sais, Mlle Lhorians, que vous attendiez M… Laventurier ce soir ; mais, soyez-en assurée, il ne viendra pas.

— Comment le savez-vous ?

— Il me l’a dit, tout bonnement. De fait, il riait en me disant cela, car il vous trouve assurément bien naïve d’avoir cru, même un instant, qu’un jeune homme de sa condition pourrait venir passer toute une veillée avec une chanteuse de cabaret, toute charmante soit-elle, affirma Judith.

— Mon Dieu ! fit Nilka, en portant la main à son cœur.

— Croyez-le, Mlle Lhorians, reprit méchamment Judith, défiez-vous des jeunes gens occupant de hautes positions sociales. Au fond, ils se moquent des jeunes filles pauvres, et ils en rient eutr’eux, lorsqu’ils sont ensemble… Même, M… Laventurier et moi, nous avons fini par trouver un côté comique à l’incident du Café Chantant. Mon fiancé m’a dit souvent depuis…

— Je ne tiens nullement à savoir ce qu’a dit