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LE BRACELET DE FER

— L’auberge est au deuxième, annonça Albert Delherbe, non sans un sourire amusé ; il devinait si bien l’impression désagréable qu’éprouvait son ami !

Ils entrèrent par une porte étroite et arrivèrent au pied d’un escalier plus étroit encore, qu’éclairait mal un solitaire bec de gaz.

— Mon cher Delherbe !… commença Paul.

— Courage et confiance ! répondit Albert en riant de bon cœur. Nous y voilà !

Ayant ouvert une porte, (étroite encore celle-là), tous deux pénétrèrent dans l’auberge, et un cri de surprise faillit jaillir des lèvres de Paul.

Ils venaient de mettre le pied dans une vaste salle qu’éclairaient de nombreux et splendides gazeliers. Un nombre infini de petites tables, recouvertes de nappes bien blanches, étaient dispersées un peu partout ; sur ces tables se voyaient de la vaisselle et des argenteries de première marque. Plus de cinquante dîneurs étaient attablés, et Paul Fiermont reconnut plusieurs de ses amis ; là-bas était Jean Courville, accompagné de sa sœur Jeannette et aussi de sa fiancée Andrée Soubry. Un peu plus loin, il vit Marius Rouvain, accompagné de Rose Myre, une amie de sa sœur Judith, qui, elle aussi, était attablée avec eux. « La belle Judith » Rouvain était une imposante brunette qui, prétendait-on, aimait, en secret, mais follement, Paul Fiermont ; inutile de dire que ce dernier ne s’en doutait même pas

Lorsqu’on apporta le menu à notre ami, il fut, encore une fois, excessivement étonné, car il comprit qu’il dinerait aussi bien au Café Chantant qu’à son club. La liste des vins lui fit aussi ouvrir les yeux.

— Qui eut cru, dit-il à son compagnon, trouver quelque chose de ce genre, en ce quartier !

— Il y a toujours foule ici, les mardis et jeudis soirs voyez-vous, Fiermont, répondit Albert Delherbe, et l’aubergiste soigne son menu en conséquence.

— Quand verrons-nous et entendrons-nous l’Oiseau Bleu ?

— Dans une heure à peu près. Elle est toujours, ou presque toujours accompagnée d’un homme, qui paraît être un domestique…

— Un domestique ? Ce n’est guère probable, n’est-ce pas Delherbe ?… L’Oiseau Bleu doit être trop pauvre pour se payer un domestique, ne pensez-vous pas, mon cher ?

— Bien… Je ne sais pas, pour vous dire le vrai… Personne ne sait quel est cet homme qui veille sur l’Oiseau Bleu. Chose certaine, ce n’est pas son père, cet individu, car l’Oiseau Bleu le tutoie.

— C’est devenu la mode, aujourd’hui, de tutoyer ses parents, vous avez dû le remarquer, et l’Oiseau Bleu…

— Mais ! Elle nomme son escorte, cet homme qui l’accompagne ici, Joël !

— Vous avez raison, alors, cet homme ne peut être son père, fit Paul.

— Joël, nous ne faisons que l’entrevoir, dans le petit corridor, là-bas… Vous ne m’en voulez pas de vous avoir entraîné ici, Fiermont ?

— Vous en vouloir ! Certes, non ! Je suis content d’être venu… et j’ai infiniment hâte d’apercevoir la chanteuse.

Les deux jeunes gens dînèrent gaiement.

Une femme au sourire aimable, venait d’entrer dans la salle. Elle se dirigea vers le piano, qui était à l’une des extrémités de la pièce.

— C’est Mme Dupin, la femme de l’aubergiste, dit Albert à Paul. Mme Dupin est une brave et excellente femme. C’est elle qui accompagne, sur le piano, l’Oiseau Bleu, lorsque celle-ci chante. Voyez, ajouta-t-il : dans le petit corridor… C’est Joël ; l’Oiseau Bleu va faire son apparition.

— Enfin ! s’exclama Paul.

Mme Dupin joua le prélude d’une chanson, et aussitôt, apparut une jeune fille, que tous applaudirent : c’était l’Oiseau Bleu.

Comme l’avait dit Albert Delherbe, elle était d’une extraordinaire beauté. Elle était plutôt petite, presque frêle, très blonde, et entièrement vêtue de bleu.

La jeune cantatrice s’avança gracieusement auprès du piano, et Paul Fiermont eut bien la plus grande surprise de sa vie : l’exquise jeune fille qui s’apprêtait à chanter, c’était l’Oiseau Bleu du promontoire.

Chapitre V

NOUVEL AMOUR


L’Oiseau Bleu du promontoire !…

Paul Fiermont n’en revenait pas !… Comment avait-il pu commettre l’erreur de prendre cette radieuse jeune fille pour une enfant, de treize à quinze ans ?… Elle lui avait paru si petite, si mignonne, lorsqu’il l’avait aperçue, en août dernier !… Sans doute, ses cheveux relevés la vieillissaient un peu, beaucoup même ; cependant… Mais, attendez… Elle portait, ce soir, des souliers à talons français ; l’été précédent, elle avait été chaussée de sandales, Paul s’en souvenait. Sa luxuriante chevelure flottait sur ses épaules, la collerette bleu de ciel qui la recouvrait, et les sandales, lui avaient donné l’apparence d’une fillette…

Soudain, Paul rougit… Il se souvenait qu’il avait failli donner un baiser à sa gentille infirmière, pour lui prouver sa reconnaissance… Heureusement, il n’en avait rien fait ! Prendre de telles libertés avec cette exquise jeune fille !…

Mais, l’Oiseau Bleu chantait…

En effet, ainsi que l’avait dit Albert Delherbe, l’Oiseau Bleu n’était pas une diva ; elle chantait très joliment cependant. Sa voix était claire et fraîche et elle « disait » bien ; ce qui est plutôt rare dans le chant, quoique d’une si grande importance.

C’est une simple chansonnette que chanta l’Oiseau Bleu, mais cette chansonnette lui valut de sincères applaudissements et des « encore » !

Sans même quitter le piano, elle dit une autre chanson qui, elle aussi, remporta un grand succès. La chanteuse accueillait les applaudissements avec un sourire qui creusait d’admirables fossettes dans ses joues légèrement teintées de rose. Elle était adorable vraiment, et Paul n’avait pas les yeux assez grands pour la regarder.