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LE BRACELET DE FER

son corps se raidit, avec un bruit de jointures qui se disloquent.

L’horloge du Musée commença à sonner sept heures…

Delmas Fiermont avait dit vrai. Son pressentiment ne l’avait pas trompé ; au premier coup du timbre sonnant sept heures du soir, il avait exhalé son dernier soupir.

Chapitre XVII

SYMPATHIES


Le premier à arriver au « château », après le décès de Delmas Fiermont, ce fut Georges Trémaine. Il avait aperçu Prosper, alors que celui-ci passait, à la course, se rendant chez le curé et le médecin.

— Prosper ! s’était-il écrié.

M. Trémaine ! avait crié le domestique, sans même s’arrêter, M. Fiermont vient de mourir !

— De… quoi ? De mourir !

Mais Prosper était déjà loin.

Georges Trémaine, à son tour, se mit à courir, dans la direction du « château », où il arriva, hors d’haleine et blanc comme un drap.

Mme Jacquin, la ménagère, passait dans le corridor principal ; elle avait les yeux enflés et rouges ; on devinait qu’elle avait dû beaucoup pleurer.

— Dans le Musée, M. Trémaine dit-elle, en passant. Ce pauvre M. Fiermont ! et elle éclata en sanglots.

En entrant dans le Musée, Georges Trémaine ne vit, d’abord, que son vieil ami, qu’on avait transporté sur un canapé ; il accourut vers lui.

— Fiermont ! Fiermont ! sanglota-t-il. Ô mon pauvre cher vieil ami !

Paul, qui se tenait debout près du canapé, les bras croisés, tandis que des larmes inondaient ses joues, posa sa main sur l’épaule de Georges Trémaine.

— Paul ! s’écria ce dernier. Que c’est, épouvantable !… Dis-moi, si tu le peux, ce qui a causé sa mort.

À ce moment, le Docteur Ivan arrivait, suivi de Prosper.

— Paul ! fit-il, en tendant la main à son ami. Quelle rude épreuve pour toi, et que c’est affreux ces morts subites !

— Ce… Ce n’est presque pas croyable qu’il soit mort ! s’exclama le neveu de Delmas Fiermont. Il y a vingt minutes à peine, il était en bonne santé comme toi et moi, Ivan !

Le médecin fit son examen, puis il dit :

M. Fiermont est mort d’une dilatation du cœur, causée par quelque grande émotion.

— Causée par la frayeur, mon ami, assura tristement Paul

— Par la frayeur ! s’écrièrent, en même temps, le médecin et Georges Trémaine.

— Oui, par la frayeur !

Et tandis que Georges Trémaine et le Docteur Ivan l’écoutaient, il raconta l’incident du timbre qui, après avoir été muet pendant dix ans, avait résonné, ce matin-là, pendant le déjeuner.

— Le timbre a frappé sept coups distincts, acheva Paul, et mon oncle, saisi d’une superstitieuse terreur, nous a dit, au notaire Schrybe et à moi, qu’il avait le pressentiment d’une chose : c’était qu’il n’entendrait pas sonner sept heures du soir.

— Il ne les a pas entendu sonner ?

— Non, M. Trémaine, il ne les a pas entendu sonner. Au premier coup de sept heures, mon oncle Delmas exhalait son dernier soupir.

— C’est la chose la plus étrange ! s’écria Georges Trémaine. Comment expliquez-vous cela, Docteur ?

— Je ne saurais l’expliquer vraiment, répondit le médecin. Les gens appellent cela « avoir l’esprit frappé d’une chose »… Pauvre M. Fiermont ! Un si brave homme ! Un homme si universellement respecté et aimé !

Georges Trémaine et le Docteur Ivan entraînèrent Paul dans la bibliothèque. Le jeune homme était très pâle, et ses deux amis l’avaient vu, plusieurs fois, porter instinctivement la main à sa tête.

— Paul, dit le médecin, tu devrais te mettre au lit. Inutile d’essayer de nous le cacher, ta blessure à la tête te fait beaucoup souffrir.

— Comment ! fit Georges Trémaine, tu as donc eu un accident, mon garçon ?

— Oh ! c’est peu de chose, M. Trémaine, répondit Paul en souriant.

— Peu de chose ! s’exclama le médecin. Ce n’est pas là mon opinion, mon cher ami !

Le médecin raconta à Georges Trémaine l’accident qui était arrivé à Paul et le père de Réjanne joignit aussitôt ses instances à celles du Docteur Ivan, pour persuader le jeune homme à se mettre au lit.

— Impossible ! répondit Paul. Je veux être debout lorsque le notaire Schrybe arrivera. Je vous l’ai dit, il a passé toute la journée avec mon oncle et… D’ailleurs, il y a infiniment de choses à faire, n’est-ce pas ? Des télégrammes à envoyer, puis mille détails qui…

— C’est vrai ! Les télégrammes ! fit le Docteur Ivan. Fais-nous une liste des noms de ceux à qui tu désires en envoyer, Paul, et Fabien, ton secrétaire, s’en occupera immédiatement. Quant aux détails, si tu veux te fier à nous, à M. Trémaine et à moi, nous nous en occuperons.

Vers minuit arriva le Notaire Schrybe. Sa douleur était bien grande, car Delmas Fiermont avait été un de ses plus anciens et de ses meilleurs amis.

— Paul, dit-il pourtant, je n’ai pas été excessivement surpris en apprenant la triste nouvelle.

— Vraiment ! s’écrièrent, en même temps, Paul, Georges Trémaine et le Docteur Ivan.

— Eh ! bien, non !… Mon pauvre ami Fiermont, avec qui j’ai passé la journée, hier, n’était certes pas dans son état normal, et même ma sœur, Mme Joannette, qui demeure avec moi, comme vous le savez, l’a remarqué…

— Vous dites qu’il n’était pas dans son état normal mon pauvre oncle Delmas, Notaire ?

— C’était évident, mon garçon ! Il était distrait, préoccupé, nerveux et sombre. Plus d’une fois, il m’a interrompu au milieu d’une phrase pour me demander :