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LE BRACELET DE FER

ne aviserait… Bien sûr, il essayerait d’attendre au dernier moment pour annoncer à son oncle qu’il n’y aurait pas de mariage, le 30 du mois courant !

— Il en fera une maladie, j’en suis sûr d’avance ! se disait Paul. Lui qui aime tant Réjanne ! Lui qui, depuis tant d’années, rêve une union entre la fille de son meilleur ami et son neveu ! Pauvre oncle !

(Chose singulière, dans le moment, du moins, Paul se désolait plus à cause de son oncle qu’à cause de lui-même ; c’était lui, pourtant qui était la victime… Plus tard, il devait se rappeler cette… particularité).

Delmas Fiermont et le notaire venaient de se retourner ; ils aperçurent le jeune homme et lui firent un signe de la main, auquel notre ami répondit, puis, hâtivement, il s’avança au-devant d’eux.

— Eh ! bien, Paul, mon garçon ?… commença Delmas, puis d’un ton fort inquiet, il s’écria : Mais !… Tu es malade, mon pauvre enfant ?

— Pas du tout ! Pas du tout, mon oncle ! répondit Paul en souriant.

— Tu… tu as la tête enveloppée d’un bandeau…

— Ce n’est rien, rien qui vaille la peine d’être mentionné seulement, oncle Delmas. Imaginez-vous que, lorsque j’eus quitté Réjanne, tout à l’heure, je voulus revenir ici en passant par le petit promontoire… J’ai, maladroitement, glissé sur un rocher… et je me suis fait une… égratignure à la tête ; voilà tout.

— Un médecin…

— Un médecin, pour une égratignure !… Ô mon oncle, vous n’y pensez pas ! Je vais aller faire un brin de toilette, et je serai prêt à me mettre à table avec vous et le notaire, dans moins d’un quart d’heure. Vous n’avez pas encore dîné, n’est-ce pas ?

— Non, bien sûr, Paul ! Nous t’attendions.

— Au revoir, alors ! À tout à l’heure !

— Attends, Paul ! fit Delmas Fiermont. Tu ne me parles pas de Réjanne ?… Était-elle bien fatiguée, la pauvre enfant ?

— Oui, Réjanne se sentait un peu fatiguée ; mais elle est parfaitement satisfaite du succès de sa fête champêtre. Elle m’a chargé de saluts, pour vous mon oncle, et pour le notaire Schrybe.

— La charmante enfant ! s’écrièrent les deux hommes ensemble.

Quoique Paul souffrit beaucoup du mal de tête, ce soir-là, il n’en fit rien voir. Mais il se coucha de bonne heure. Cependant, le sommeil fut lent à venir. Sans cesse, il pensait à Réjanne et au malencontreux incident du bracelet de fer…

Enfin, il parvint à s’endormir. Le dernier souvenir qui lui revint, au moment de fermer les yeux, ce fut celui d’une voix argentine lui disant :

— Appuyez-vous sur mon épaule, Monsieur, et ne craignez rien ; je suis beaucoup plus forte que je parais l’être.

Chapitre XIII

LA LETTRE


Lorsque Paul descendit à la salle à manger, le lendemain matin, son oncle et le notaire Schrybe l’y attendaient.

— Je regrette de vous avoir fait attendre, dit le jeune homme, quand il eut présenté la main à son oncle, ainsi qu’il le faisait chaque matin et chaque soir. J’ai fait la grasse matinée, je le crains.

— Comment va « l’égratignure » à la tête, Paul ?

— Je m’en aperçois à peine, mon oncle.

— Tant mieux ! Tant mieux ! Mais je te conseillerais de renoncer à ta promenade à cheval, ce matin.

— J’y renoncerai d’autant plus facilement que je sais d’avance que Réjanne va être trop fatiguée pour m’accompagner, répondit Paul, au moment où l’on se mettait à table.

— La chère enfant ! fit Delmas Fiermont. Oui, il faut lui donner au moins toute cette journée pour se reposer… Iras-tu à La Solitude, cet avant-midi ?

— Certainement, mon oncle, répondit l’ex-fiancée de Réjanne, mécontent, au fond, de se voir dans l’obligation de mentir ainsi.

À ce moment, Prosper entra dans la salle à manger, et se dirigeant directement vers Paul, il lui remit une lettre.

M. Paul, dit le serviteur, Daniel, le domestique de La Solitude, vient de laisser ceci pour vous.

— Merci, Prosper.

Delmas Fiermont et le notaire Schrybe échangèrent un sourire de sympathie.

— Ne te gêne pas pour lire ta lettre, mon garçon, dit Delmas Fiermont, en souriant ; nous savons que tu as bien hâte d’en prendre connaissance. Il me tarde, d’ailleurs, de savoir comment elle se porte, ce matin, ta charmante fiancée.

Une protestation vint aux lèvres de Paul. Il savait d’avance ce que devait contenir la lettre : Réjanne lui signifiait son congé, sans doute ; ce serait une rupture complète, et vraiment, il eut de beaucoup préféré être seul pour la lire cette missive de celle avec qui il avait échangé des serments de fidélité et d’amour.

— Merci, mon oncle, répondit-il cependant. Il pâlit légèrement. Vous permettez, Notaire ?

— Bien sûr ! Bien sûr ! s’écria le notaire Schrybe. Des lettres d’amour, des billets doux, c’est comme des petits gâteaux chauds ; il faut les déguster tout de suite, ajouta-t-il en riant.

Paul ouvrit l’enveloppe d’une main qui tremblait un peu, et il en retira une mince feuille de papier, sur laquelle quelques mots seulement étaient écrits ; il reconnut l’écriture de Réjanne.

Mais en retirant la lettre de l’enveloppe, il en retira, en même temps et sans s’en apercevoir immédiatement, un petit objet, qui tomba sur le plancher avec un bruit métallique, et alla rouler jusqu’aux pieds du notaire Schrybe : c’était l’anneau de fiançailles qu’il avait donné à Réjanne, il y avait quatre mois ; un joyau de grand prix, surmonté de diamants.