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LE BRACELET DE FER

chaient… C’était Réjanne enfin ! Oh ! de quelle reconnaissance le cœur du jeune homme fut inondé ! Chère, chère Réjanne ! Il la rendrait si parfaitement heureuse, qu’elle en oublierait vite l’incident de tout à l’heure !

Les pas s’approchaient de plus en plus… et soudain, apparut, venant de la grève, une enfant d’une extraordinaire beauté ; elle tenait, à deux mains, un chapeau bleu, en feutre, duquel dégoûtait de l’eau. La fillette, (du moins, elle paraissait n’avoir que quatorze ou quinze ans) était entièrement recouverte d’une mante bleue, couleur du firmament ; sur cette mante tombait une chevelure d’or, ondulée ; Paul n’avait jamais vu rien de pareil de sa vie. Ces cheveux tombaient plus bas que les genoux. La chevelure de l’enfant était retenue d’un côté seulement, par un ornement qui ne devait pas être d’une grande valeur, mais qui ressortait vivement sur la teinte de ses cheveux : c’était un oiseau bleu, aux ailes largement ouvertes. Les yeux d’azur de la petite étaient grands, profonds, d’une douceur infinie et ombragés de longs cils, presque bruns. Dans ses joues légèrement teintées de rose se creusaient deux admirables fossettes. Sa bouche mignonne, aux lèvres bien dessinées, semblait inviter aux baisers. On pouvait comparer ses dents à un collier de perles fines.

Occupée à tenir le chapeau de feutre dans ses mains délicates, la fillette ne s’aperçut pas que Paul la regardait ; c’est seulement lorsqu’elle fut tout près de lui qu’elle le vit.

— Oh ! s’écria-t-elle, en laissant choir sur le sol son bidon improvisé, (c’est-à-dire son chapeau). Vous êtes donc mieux, Monsieur ?

— Enfant, dit Paul, est-ce vous qui m’avez prodigué des soins ?

— Oui, Monsieur, répondit-elle. Je passais en chaloupe, au pied de ce promontoire, quand je vous ai vu tomber… Ciel ! fit-elle, en se couvrant les yeux de ses mains. J’ai bien cru que vous alliez vous tuer !

— Vous… vous n’avez vu personne dans les environs… au moment où je suis tombé, n’est-ce pas, mignonne ?

— Personne, Monsieur. Oh ! c’était si terrible, vous savez ! J’ai entendu le bruit produit par le contact de votre tête avec le rocher ! s’exclama la fillette, et Paul la vit pâlir légèrement.

— Et vous êtes venues à mon secours…

— Mais… sans doute !

— Comment vous remercier, enfant ! Sans vous… Mais, je me sens mieux, beaucoup mieux… Je crois que je puis me lever et continuer mon chemin, dit Paul, en posant sa main sur un rocher, afin de pouvoir se relever à l’aise, car il se sentait encore un peu faible.

— Appuyez-vous sur mon épaule, Monsieur, dit la jeune inconnue, et ne craignez rien ; je suis beaucoup plus forte que je parais l’être.

Paul ne put s’empêcher de sourire ; cette frêle enfant lui servant de support, à lui, qui était d’un si respectable poids ! Pourtant, il détourna la tête, afin que sa jeune compagne ne le vit pas sourire, car il n’eut pas voulu l’offenser ou la peiner pour tout au monde la charitable fillette. Même, pour lui faire plaisir, et lui faire croire qu’elle l’aidait véritablement ; il appuya avec assez de force sa main droite sur l’épaule de sa petite infirmière, ayant soin cependant de s’aider lui-même au moyen de sa main gauche, car il était encore un peu étourdi de sa chute.

— Vous ne pourrez jamais remonter le promontoire ! dit la fillette ; vous êtes encore trop faible !

Elle avait raison ! Rien qu’à la pensée de se risquer sur les rochers glissants du petit cap, cela lui donnait le vertige.

— Ma chaloupe est en bas ; si vous le désirez, je vous ramènerai par eau.

— C’est une charmante idée ! répondit Paul.

Bientôt, tous deux naviguaient sur le Saint-Laurent, et comme Paul ne voulait pas arriver au « château » accompagnée de sa gentille infirmière, ce qui eut effrayé son oncle, il se fit débarquer à un quart de mille environ de chez lui.

— Enfant, dit-il, au moment de la quitter, comment puis-je vous remercier pour votre extraordinaire bonté ?

— Mais… je n’ai rien fait de bien extraordinaire ! répondit-elle en souriant. Je passais, je vous ai vu tomber, et je suis allée à votre secours ; voilà tout.

— Tout de même, je vous fais mes plus sincères mercis, fit Paul, puis il ajouta : Demeurez-vous dans les environs ? C’est la première fois que je vous vois.

— Je ne suis dans la banlieue que depuis quelques jours. Mon père travaille, dans les environs ; nous retournons chez-nous demain. Adieu, Monsieur !

— Est-ce « adieu » vraiment ? Pourquoi pas « au revoir » ? Qui sait si nous ne nous reverrons pas ? Parfois, la vie a de ces hasards heureux.

— Ce n’est guère probable que nous nous rencontrions, répondit-elle, avec un ravissant sourire. Encore une fois, adieu !

Paul fut tenté de la prendre dans ses bras et lui donner un baiser. Elle n’était qu’une enfant, en fin de compte, et elle venait de lui rendre un réel service ; mais, quelque chose… un je ne sais quoi, qu’il vit dans les yeux de la jeune inconnue, le retint. Seulement, prenant dans ses mains une touffe épaisse de ses cheveux blonds, il les couvrit de baisers. Elle rit, secoua la tête, et s’enfuit, à force d’avirons.

À peine la chaloupe la contenant eut-elle disparu à un coude de la rivière, que Paul se dit qu’il avait eu bien tort de ne pas lui avoir demandé son nom ; elle le lui eut dit, bien sûr… Mais il était trop tard maintenant… En lui-même, et lorsqu’il penserait au service qu’elle lui avait rendu, il la nommerait : « l’Oiseau Bleu », à cause de l’ornement qu’elle portait, dans ses cheveux d’or.

Arrivé sur la terrasse du « château », Paul vit son oncle et le notaire Schrybe, qui se promenaient, de long en large. Il aurait de beaucoup préféré ne pas rencontrer son oncle de si tôt ; mais il n’y avait qu’à jouer son rôle le mieux possible. Il ne fallait pas que, ce soir du moins, son oncle se doutât de ce qui venait de se passer entre lui, Paul, et Réjanne. Pauvre oncle Delmas ; il pourrait en mourir de peine !… Demain, l’ex-fiancé de Mlle Trémai-